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Critique de jlvlivres


César Vallejo, de son nom complet César Abraham Vallejo Mendoza, est un poète péruvien (1892-1938). Natif de Santiago de Chuco, dans le centre du pays, mais à 3500 m d'altitude, c'est un « cholo », métis de descendants d'espagnols blancs et d'indiens, ses grands-mères étant des Indiennes Chimu. Dernier d'une famille de onze enfants, on le destine tout d'abord à être prêtre. « J'étais le plus jeune de onze enfants et j'ai grandi dans une maison saturée de dévotion religieuse ». Mais cela ne lui convient pas. Il doit travailler pour payer ses études. « Entre 1908 et 1913, j'ai démarré et arrêté plusieurs fois mes études collégiales, dans le même temps de travail en tant que tuteur et dans le département des comptes sur une grande plantation de sucre. A la plantation de sucre, j'ai vu des milliers de travailleurs arrivant dans la cour à l'aube pour travailler dans les champs jusqu'à la nuit pour quelques cents par jour et une poignée de riz ».

« Los Heraldos Negros » (1918-1938) traduit en « Les Hérauts Noirs » par Pierre Tholiere (2017, Editions du Chat-Lézard, 271 p.) est un recueil de jeunesse de César Vallejo Carpentier, grand poète péruvien (1892-19. C'est un des exemples les plus représentatifs du post modernisme sud -américain (et européen).
L'auteur confronte son angoisse existentielle, sa culpabilité et sa douleur physique et morale dans des vers fameux : « Je suis né un jour quand Dieu était malade » que l'on retrouvera dans « Poèmes Humains » (1923 et suivantes).
Tout commence par un poème liminaire. « Il y a, dans la vie, des coups si forts… Moi je ne sais ! / Des coups comme de Dieu la haine; comme si avant eux / le ressac de tout ce qui fut souffert / se déposait dans l'âme… Moi je ne sais ! ». Non pas que ce soit un descendant de Bartleby ayant échoué sur les rives du Pacifique Est après avoir voyagé sur la baleine blanche. Non, Pierre Senges n'en parle pas, ni même ne l'évoque dans son « Achab : séquelles » (2015, Gallimard Verticales, 624 p.).
Total, il adhère au parti communiste depuis Paris où il séjourne depuis 1923. Et en 1928, il fonde même la cellule Parisienne du Parti Socialiste du Pérou avec José Carlos Mariategui. Et peu après, en 1929, la Confédération générale des travailleurs. Ses thèses incarnent une confrontation entre la théorie et la réalité sociale à laquelle elle prétend s'appliquer, renouvelant ainsi la lecture de la situation, mais aussi le marxisme, en particulier la définition du sujet révolutionnaire. Il incorpore cependant le racisme structurel, la vitalité des traditions indigènes et des caractéristiques économiques d'un pays encore peu développé. C'est en quelque sorte une « péruvianisation » du marxisme.
Il est frappant, à cet égard, de lire les critiques littéraires actuelles des USA à ce sujet, dans lesquelles, on n'oublie par de faire remarquer que, indépendamment de la qualité de ses poésies, César Vallejo est un « affreux marxiste », tout juste encore avec le couteau entre les dents, prêt à enlever et découper les petits enfants.
Tout dans son oeuvre se réfère, à un moment ou un autre, à son mal-être et ses problèmes de santé. Une édition critique, réalisée par Americo Ferrari « César Vallejo : Présentation » (1967, Seghers Editeur, Poètes d'Aujourdhui,191 p.) fait état de citation de 129 organes du corps différents, cités au total 1218 fois.
Les paysages (10 + 25 poèmes) et silhouettes (4 + 11) du Pérou, l'indigène (la terre et le peuple), ses propres souvenirs d'enfance (13+ 5), ou encore l'amour, la mort, le supplice de vivre. Tout cela se retrouve dans les 69 poèmes du recueil. Ce sont des poèmes sur l'incertitude que subissent les êtres humains lorsqu'ils cherchent un sens à leur existence. le titre évoque les messagers de la mort, qui, évidemment, ne peuvent qu'annoncer la douleur. le motif principal du poème tourne autour de la douleur humaine incompressible et inexprimable. Cette douleur est tout naturellement assimilée à la fureur divine (un chapitre intitulé « Tonnerre », aux barbares dévastateurs, aux hérauts noirs, à travers une série d'images très suggestives « Ces coups sanglants sont les crépitations / d'un pain brûlant pour nous à la porte du four ». « Et l'homme... Pauvre... Pauvre ! […] il tourne des yeux fous, et tout ce qu'il vécut / se dépose, comme une flaque de remords, dans le Regard.». L'âme est alors un gouffre où demeure la douleur et le regard est le lieu où cette douleur devient culpabilité, le poème révèle ce cercle vicieux dans sa structure même, qui se répète et où le premier vers est aussi le dernier. « Il y a des coups dans la vie, si forts... Moi je ne sais ! » On peut alors résumer la vie en trois moments. i) la vie humaine implique de subir des événements douloureux ; ii) ces revers que l'on doit subir sont liées à la haine de Dieu ; iii) il n'y a aucune consolation puisque le vécu ne sert pas d'excuse pour faire face à l'adversité.

Sa vie reste attachée au service de la lutte populaire, véritable « agonie » collective à laquelle César Vallejo identifia la sienne propre. Il y mêle un vocabulaire et des symboles chrétiens pour exprimer la douleur humaine. On peut aussi invoquer les recours de l'écrivain aux symboles de la Passion qui reviennent souvent comme la crucifixion, les épines, le bon et le mauvais voleur, le calice. On peut citer aussi ses poèmes dédiés aux mineurs péruviens, symboles d'une humanité supérieure dont la dialectique est déchirante « saben... / bajar mirando para arriba, / saben subir mirando para abajo » (Ils savent... / descendre en regardant en haut, / ils savent monter en regardant en bas ». Les critiques parlent d'« humanisme chrétien » à propos de « Poemas humanos ».

Les « Poèmes humains » sont des poèmes de l'exil, écrits de 1923 à 1937. Ils correspondent aux conséquences de son arrestation et emprisonnement à tort à Trujillo. Il reste sous la menace d'un procès, ce qui lui vaudra des ennuis, même après son expulsion en France. « J'ai abhorré cette vie. Je voudrais partir de là, échapper à tout, ne rien effleurer ni être effleurer par rien, n'être en aucun endroit, n'être avec rien ». Parti pour l'Europe, il ne reviendra jamais au Pérou.
A Paris, il arrive un vendredi 13 sans un sou, il a perdu la plupart de ses amis. « Ils sont tous morts // […] Mort, un vieux borgne, j'ai oublié son nom, mais il dormait au soleil du matin, assis devant la porte de la quincaillerie du coin // […] Morte, mon éternité et je suis là, qui la veille. ». Il tombe malade des poumons et est soigné à l'hôpital, et apprend, de plus, la mort de son père. « Ce n'est pas plaisant de mourir, monsieur, si l'on ne laisse rien dans la vie et si rien n'est possible dans la mort, sauf ce qu'on laisse dans la vie ! / Ce n'est pas plaisant de mourir, monsieur, si l'on ne laisse rien dans la vie et si rien n'est possible dans la mort, sauf ce qu'on laisse dans la vie ! / Ce n'est pas plaisant de mourir, monsieur, si l'on ne laisse rien dans la vie et si rien n'est possible dans la mort, sauf ce qu'on a pu laisser dans la vie ! ». Un très dur moment de sa vie.
Au fond il n'a jamais eu vraiment de chance. « Je suis né un jour / où Dieu était malade. / Tous savent que je vis, / que je suis mauvais : mais ils ne savent rien / du décembre de ce janvier. // Car je suis né / un jour où Dieu était malade. / Il est un vide / dans mon air métaphysique / que personne ne palpera : / le cloître d'un silence / qui parla à fleur de feu. // […] Je suis né un jour / où Dieu était malade, / gravement. » publie t'il dans « Les Hérauts noirs ». Et pour sa mort ce sera « Pierre Noire sur une Pierre Blanche » dans « Poèmes Humains ». « Je mourrai à Paris par un jour de pluie / un jour dont j'ai un jour déjà le souvenir. / Je mourrai à Paris - je n'en ai pas honte – / peut-être un jeudi d'automne, comme aujourd'hui. // Ce sera un jeudi, car aujourd'hui, jeudi / que je prose ces vers, mes os me font tant souffrir / et de tout mon chemin, jamais comme aujourd'hui, / je n'avais su voir à quel point je suis seul ».

En 1927, il publie cependant « Contre le secret professionnel » et intervient au Congrès des Ecrivains Antifascistes de Madrid. Il y définit sa conception de de l'art poétique. Il y attaque tous les écrivains sud-américains de sa génération. de Jorge Luis Borges, à Gabriela Mistral. Il concrétise son manifeste en sept points. « Nouvelle orthographe, nouvelle calligraphie du poème, nouveaux éléments, nouvelle machine à faire des images, nouvelles images, nouvelle conscience cosmogénique, nouvelle conscience politique et économique ». Et il développe en citant ses amis. « J'accuse donc ma génération de poursuivre les mêmes méthodes de plagiat et de rhétorique que les générations passées qu'elles prétendent renier ».
« Les responsables de ce qui se passe dans le monde, c'est nous, les écrivains, parce que nous possédons une arme formidable, qui est le verbe ». Ce qui suppose, et là, il accuse les autres auteurs sud-américains, de ne pas se servir de leurs écrits pour dénoncer ces inégalités. « Dans la majorité des cas, noud les écrivains, nous ne sommes pas héroïques, nous n'avons pas l'esprit de sacrifice ». Et il en appelle aux paroles du Christ « mon royaume est de ce monde, mais il est aussi de l'autre ».
Il se radicalise et voyage, notamment en Union Soviétique. Ce qui lui vaut de nouveaux ennuis. Il est expulsé de France, va en Espagne et écrit « Tungstène » sur la vie des mineurs et des indiens, le plus souvent analphabètes, au Pérou.
Puis survient la guerre d'Espagne.

« Espagne, écarte de moi ce calice » est constitué de 15 poèmes écrits à partir de 1937, de fait entre le 03 septembre et 10 novembre 1937. « Espagne, écarte de moi ce calice » commence avec un long poème d'environ 170 vers intitulé « Hymne aux volontaires de la République ». Par la suite, les poèmes sont plus courts. Mais d'emblée, César Valléjo rend hommage aux combattants de l'Estramadure, puis de Talavera, Guernica bien sûr, « A Madrid, à Bilbao, à Santander / les cimetières ont été bombardés / et les morts immortels des tombes, / les os toujours en veille et l'épaule éternelle, / les morts immortels, en sentant, en voyant, en entendant / si infâme le mal, si morts les vils agresseurs / […] / ils ont cessé de pleurer, ils ont cessé / d'espérer, ils ont fini / de souffrir, ils ont fini / de vivre, ils ont fini, enfin, d'être mortels ! » et le poème se termine sur « Malaga qu'aujourd'hui je pleure ! / Malaga que je pleure et pleure encore ! »
« La voilà qui passe ! Appelez là ! C'est son flanc ! / La voilà, la mort, qui passe à Irun : / ses pas d'accordéon, des obscénités, / son mètre du suaire que je t'ai dit, / son gramme de ce poids que j'ai tu… oui, ce sont eux ! ». Voilà pour « L'image espagnole de la mort ». ou encore « le roulement de tambours funèbre sur les décombres de Durango » avec son refrain qui revient « Père cendre qui montes de l'Espagne » et qui revient « Père cendre qui t'élèves du feu », « Père cendre, arrière-petit-fils de la fumée » et qui se termine « père cendre, Espagnol, notre père // Père cendre qui vas vers l'avenir / que Dieu te sauve, te guide et donne des ailes, / Père cendre qui vas vers l'avenir ».
On retiendra de César Vallejo son obsession pour son pays. On rapporte que ses dernières paroles sont « España, me voy a España ». C'est plus significatif que le fait qu'il soit mort un Vendredi Saint de 1937, malgré son attachement au fait religieux. Il y bien sûr ses « Poèmes Humains », mais surtout ceux sur la guerre d'Espagne.

Il sera enterré au cimetière Montparnasse. Sur sa tombe, Georgette Valllejo afait graver. « J'ai tant neigé pour que tu dormes ».

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