Elle est longue l'agonie de Milla. Très longue. Elle a le temps de revivre ses souvenirs, la maîtresse de Grootmodersdrift , et de nous faire entrer dans sa ferme en compagnie d'
Agaat la servante qui s'occupe d'elle.
Agaat c'est d'abord un magnifique roman, puissant, lyrique ou la terre et la nature sont des personnages importants. Mais c'est avant tout l'histoire d'un couple mal assorti, l'histoire d'une mère qui ne parviendra jamais à creer des liens avec son enfant, l'histoire de Milla idéaliste, attachée viscéralement à sa terre, l'histoire d'une femme mariée à un homme violent et froid, l'histoire d'un questionnement sur l'apartheid qui vit ses derniers moments.
En mal d'enfant elle va, un jour, contre l'avis de tous, arracher à la misère et aux mauvais traitements une petite "sauvageonne" mutique et manchote et noire.
En apprivoisant
Agaat pour en faire son enfant, Milla remet en cause tout le fonctionnement de l'apartheid et se heurte à cette bonne société sûre de ses prérogatives et de sa supériorité. S'il naît un amour puissant entre ces deux solitudes, la déception et la colère seront d'autant plus grandes lorsque Milla, enfin, après sept ans d'attente, donne naissance à Jakkie.
Agaat, déchue de son rang de fille adoptive à celui de bonne d'enfant devra se composer une autre vie ou l'amour et la haine seront intimement mêlées. Elle sera sûrement sauvé d'une haine pure par l'amour indéfectible qu'elle porte à ce bébé qu'elle fait naître seule au bord d'une route de montagne.
Lorsque Milla se retrouve seule et dépendante de la maladie qui la cloue immobile et sans voix dans un lit de la grande ferme,
Agaat trouve sa revanche, et soignant avec dévouement sa "maîtresse", peaufine de micro vengeances.
Construit de manière magistrale ce roman nous fait entendre les voix plurielles de Milla. Celle des carnets qu'elle écrit à partir du jour ou elle sauve
Agaat, sa voix de vieille femme sans parole où les mots se résument à des clignements de paupières, la voix de ses rêves, poétique, désordonnée, et celle du trio qu'elle forme avec son fils et
Agaat.
Je peux dire que j'ai adoré ces voix-là, même si, parfois, j'ai pensé que l'auteur aurait pu faire des coupes dans le texte. Mais je comprends aussi le parti pris de cette construction. Elle est longue cette agonie, elle permet à Milla de clore une relation de 40 ans et d'en extraire toutes les saveurs, les odeurs, les secrets.
Elle permet aussi de comprendre que la maîtresse des lieux, celle qui règne, qui ordonne, qui décide c'est
Agaat.