Angela Merkel s'est fatiguée dans l'exercice du pouvoir, parce qu'elle savait mieux que d'autres le prix de la liberté. Elle s'est fatiguée à préférer au cynisme ces choses ennuyeuses - la morale, les principes, l'Etat de droit, l'unité européenne - parce qu'elle savait mieux que d'autres combien la paix et la démocratie ne sont jamais acquises.
De tous les dirigeants majeurs des grands pays occidentaux, elle est la seule à avoir connu cet autre monde géographique, politique, psychologique : l'Est de l'Europe, le mauvais coté du Mur, l'expérience intime de la dictature et du totalitarisme.
La seule parmi eux à pouvoir parler de démocratie et de liberté en ayant vécu dans sa chair ce qu'en être privé veut dire.
Personne ne peut se prévaloir comme Angela Merkel d'une telle longévité à la tête d'une grande puissance par des moyens démocratiques et transparents.
Elle était un repère dans un monde angoissant. Son départ nous inquiète car il nous fragilise. Une digue est rompue.
On ne l'a jamais prise en défaut de promettre plus qu'elle n'est capable de faire.
Angela Merkel est une dirigeante pour qui les mots comptent.
Angela Merkel va nous manquer parce qu'elle incarnait un monde ouu la vérité pouvait encore être écoutée.
Elle a souvent privilégier les intérêts des industriels et des contribuables allemands au détriment de la solidarité européenne.
Le totalitarisme, le protestantisme, les sciences.
L'Est et le Nord, l'après-guerre, le rêve d'Amérique. Les clés de l'énigme Merkel ne se décryptent pas séparément mais seulement toutes ensemble.
Rarement un dirigeant aura été façonné par son passé comme l'a été cette chancelière, pendant les trente cinq années de sa vie, jusqu'à la chute du Mur. Son ambition patiente et prudente, sa longévité au pouvoir, son machiavélisme de joueuse d'échecs, son style et ses méthodes de gouvernement, son manque d'audace à réformer comme parfois, tout au contraire, la virulence de ses prises de position sur des questions de principe : tout Angela Merkel s'explique par son expérience complexe des valeurs et d'une vie entres deux mondes, d'un monde à l'autre, d'Est en Ouest.
Angela Merkel va me manquer parce qu'elle est une dirigeante morale.
La stabilité qui caractérise sa politique est à l'image de sa propre constance et semble avoir déteint sur chacun des membres de son équipe rapprochée, tous aussi discrets qu'elle, et dont elle ne s'est jamais séparée.