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Critique de Renatan


« On peut choisir ceux avec qui l'on va passer sa vie, mais on ne peut pas choisir ce qu'ils deviendront »

Et si on se construisait une cabane sur l'île de Caribou Island ?

On y verrait des terres sauvages à perte de vue, aucune âme humaine à des kilomètres à la ronde, après une longue descente en canoë dans les eaux troubles de l'Alaska. On affronterait chaque jour des rafales glaciales de vent et de poudreuse, des sentiers à baliser dont les tempêtes de neige auraient effacé les traces de la veille. le temps que les travaux de la cabane se terminent… se ter-mi-nent…….

Gary en avait rêvé de ce projet. Il s'était mis en tête de construire cette cabane à partir de rien. Elle serait son refuge, comme un reflet de l'homme, qui fait écho à une image de soi déformée à travers le prisme d'une nature désemparée. Elle serait sa tanière, son obsession, comme un grand mensonge sur lequel on s'appuie pour éviter de regarder en face ce monde qui nous échappe. Pour faire semblant que les choses vont beaucoup mieux ailleurs que chez soi…

Alors, tu viens avec moi sur Caribou Island ? Bon, ce ne sera peut-être pas si idyllique qu'on l'avait imaginé. Mais on sera ensemble et puis, qu'est-ce qu'on à perdre pour tenter de sauver notre couple déjà en péril?

« Ce qu'elle voulait, c'était qu'il s'allonge à ses côtés. Tous les deux sur la plage. Ils abandonneraient, lâcheraient la corde, laisseraient dériver le bateau au loin, oublieraient la cabane, oublieraient tout ce qui avait cloché au fil des ans, rentreraient chez eux, se réchaufferaient et recommenceraient de zéro. »

La cinquantaine avancée, Gary n'avait jamais su prendre soin de personne d'autre que de lui-même. Une vie entière à fuir et rêver, à se dire que sa vie aurait pu être autrement, ailleurs. Que des remises en questions et des regrets, des apitoiements, une quête constante de distractions pour meubler les heures. Mais l'égoïsme est-il un motif suffisant pour foutre en l'air la vie de ceux qui nous sont proches ? Pire encore, comment t'as fait Gary pour ne pas voir à quel point Irène était devenue amère, broyait du noir? Qu'elle ingurgitait du Tramadol pour soulager ses migraines comme on bouffe des Smarties? Tu ne voyais donc pas que chaque rondin qu'elle transportait chaque jour était aussi lourd sur ses épaules que le poids des années qui ravage à force de lutter? Tu étais bien trop obnubilé par ton projet de foutue cabane! Mais attends Gary, la vengeance est douce au coeur de l'indien…

David Vann a un don, celui de nous entraîner si habilement dans l'atmosphère suffocante de ses histoires qu'on en ressort le souffle court. C'est oppressant, c'est noir, c'est même à la rigueur insupportable par moments, mais il nous le rend avec une telle intelligence de coeur et de sentiments qu'il nous fait presqu'oublier jusqu'où les limites de l'âme humaine sont capables d'aller quand elles se trouvent en rupture avec la réalité. Aussi, je pense que l'oppression qu'on ressent en abordant ses romans - et qui en font sa force aussi - nous vient, au-delà de l'atmosphère dérangeante, de ses personnages plus vrais que nature qu'on ne voudrait pas imaginer aussi « malsains » - pour certains - et qui pourtant ne reflètent qu'une société en mal de vivre, avec ses individus en marge. L'auteur a lui-même eu à affronter de près, étant très jeune, le suicide de bon nombre de membres de sa famille, défi qui le rend forcément aujourd'hui sensible aux revers de la santé mentale.

Dans Désolations, tout comme dans Sukkwan Island, on retrouve des histoires de relations familiales dysfonctionnelles. Des histoires aussi de personnages asociaux, d'isolement, de solitude, de vide, de mal de vivre, de coups puissants et impardonnables. Et plus particulièrement dans celui-ci, de relations de couple et fraternelles conflictuelles, de tricheries, de rancoeurs, de méchancetés, de chantage et de coups bas. Une panoplie de sentiments aigres, que je vous conseille de lire en des temps joyeux…

Un immense coup de coeur !

« le froid s'insinua entre ses vêtements malgré son allure rapide, alors il se mit à courir à petites foulées, ses bottes émettant un bruit sourd. Unique âme solitaire sur cette route, les étoiles et l'absence de lune. L'Alaska, une immensité imperturbable qui s'étendait sur des milliers de kilomètres dans toutes les directions. »
Lien : http://www.lamarreedesmots.c..
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