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Critique de elodiekretz


J'ai eu la chance de découvrir David Vann dès 2010, lors de la parution de Sukkwan Island. Je le suis depuis et la parution de chaque livre est un événement qui me rend fébrile... Cet auteur - traduit à chaque fois par la brillantissime Laura Derajinski qu'il remercie avec une reconnaissance touchante à la fin ainsi que les éditions Gallmeister - est d'une constance dans l'excellence qui me laisse sans voix. Il fait partie des plus grands auteurs contemporains, toutes nationalités confondues. Et je ne tiens même pas compte du drame qu'il a connu à 13 ans lorsque son père s'est suicidé, lui léguant ses armes à feu, drame indissociable (fondateur ?) de son oeuvre, de sa personnalité et sujet de ce livre terrible et sublime.

Inutile de dire que je l'ai commencé avec une impatience extrême ! J'en ai parlé avec des lecteurs et lectrices tout aussi adeptes de David Vann que moi : comme eux, j'ai dû faire des pauses. Si je devais trouver une formule pour exprimer mon ressenti, je dirai que c'est un huit-clos malgré les grands espaces dans lesquels l'action s'inscrit, entre la Californie et l'Alaska. de ses régions pourtant mythiques, nous ne voyons rien ou si peu car nous sommes enfermés dans la tête de Jim Vann, le père de David, frappé de plein fouet par la dépression, par l'envie d'en finir avec un monde qui n'a plus le moindre intérêt, la moindre saveur pour lui. Pourtant, il n'est ni indifférent ni froid, il brûle, au contraire, de sentiments trop forts, trop grands pour lui et d'un idéal exigeant qu'il n'a pas réussi à atteindre, ce qui le ronge, de regrets et de remords. Il est intelligent, très intelligent et n'a donc pour lui aucune indulgence et l'auto-apitoiement qu'il affiche parce c'est plus simple ne masque pas sa profonde culpabilité face à ce qu'il considère comme l'échec de sa vie à 39 ans.

Face à lui, pendant ces trois jours qu'il passe en Californie avec sa famille, nous partageons l'impuissance des siens, qui tentent tout pour le détourner de cette envie d'en finir. Tout même de révéler des choses intimes pour convaincre Jim de continuer à vivre malgré tout. Dans cette famille, que l'on sent soudée mais dans laquelle chacun reste seul avec ses pensées, ses peurs, ses déceptions, David Vann nous fait ressentir quel effort cela représente pour son frère Doug, son père et sa mère de se révéler fragiles, aux antipodes des codes sociaux consistant à "faire face" quoi qu'il arrive. Je me suis demandée pendant les 50 premières pages du livre pourquoi David Vann nous livrait ce roman / récit à la troisième personne. C'est pour nous faire ressentir tant l'inéluctable désespoir de Jim que l'insondable impuissance de ses proches. La conversation avec son père qui pour la première fois de sa vie révèle ce qu'il ressent dans une dernière tentative pour retenir son fils touche au sublime.

Ce livre nous offre aussi une profonde réflexion sur les dangers de l'omniprésence des armes. "Je veux juste comprendre pourquoi j'appuie sur la détente", dit-il à son frère. "Tout joue un rôle". "On a des flingues. Et les seules vacances qu'on prenait en famille, c'était pour aller chasser ou pêcher. On passait tout notre temps libre à tuer", ajoute-t-il. CQFD

Ce livre révèle de phrases ciselées à la perfection, qui nous plongent dans les pensées de Jim. Face à ce père, David et sa soeur Cheryl n'ont pas une grande place dans le livre, dépassés par un drame trop grand pour eux qu'ils ressentent profondément.

Même si l'expression est galvaudée, après ce 7e livre, la démonstration est faite que David Vann est un des plus grands. Respect absolu et reconnaissance éternelle aux éditions Gallmeister.
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