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Critique de Dez54


Dez54
02 septembre 2023
Intéressant mais frustrant – Histoire tragique d'une dérive

Longue nouvelle (ou court roman c'est selon) de l'écrivain péruvien Mario Vargas Llosa, les chiots nous raconte l'histoire de la lente dérive du jeune Cuéllar.

Paru initialement en 1967 au Pérou, le récit débute lors de l'enfance de Cuéllar et nous raconte la genèse de ce personnage par la voix d'un de ses camarade et ami. Initialement, le petit Cuéllar a semble-t-il toutes les cartes en main pour s'assurer d'un bel avenir. Ce jeune garçon est sympathique, bon camarade, sportif et en classe comme lors de ses entrainements au football, il se démarque par une détermination consciencieuse dans tous les domaines qui force l'admiration de ses camarades et de ses professeurs. le point de bascule est un accident aussi tragique que contingent : un molosse danois s'échappe et surprend Cuéllar et ses camarades alors qu'ils se douchent. L'enfant n'a pas le temps de fuir… Les morsures du chien atteignent les parties génitales de Cuéllar et l'estropient.

Pour quelques années encore, celui-ci continue de passer une enfance assez classique et semble-t-il plutôt heureuse si ce n'est qu'il écope du surnom plutôt vexant de « Petit-Zizi ». Hélas, l'âge passant le fossé semble se creuser peu à peu entre Cuéllar et le reste de ses pairs. A la fin de son adolescence son comportement change drastiquement, il devient taciturne, jaloux, querelleur, commet quelques folies et se met en marge du groupe. Happé par un profond mal-être vis-à-vis d'un handicap jugé honteux et par ses dépits amoureux, il débute une quête viriliste et adopte des comportements de plus en plus dangereux et autodestructeurs à l'âge adulte… Comme on peut s'y attendre, le dénouement n'est guère heureux.

Coté forme Mario Vargas Llosa adopte deux choix assez radicaux : le premier concerne l'écriture assez « expérimentale » qui alterne notamment la première et troisième personne du pluriel et mêle dialogue et narration pour un rendu très spontané et oral. Si cela peut désorienter un peu sur les toutes premières pages, le rendu est assez fluide et donne un aspect de discussion informelle au récit comme si c'était un vieil ami qui donnait des nouvelles de Cuéllar au lecteur à la terrasse d'un café. le second choix est celui d'une narration extérieure qui semble provenir d'un des amis d'enfance de Cuéllar alors même que le sujet du livre est intime. Cela amène renforce le caractère fluide de l'histoire et amène après coup à se poser des questions sur l'objectivité du récit (L'histoire donne le beau rôle au groupe de garçons entourant et soutenant Cuéllar quand ce dernier semble se mettre de son propre chef en marge. Mais le narrateur n'enjolive-t-il pas la situation afin de se dédouaner des souffrances et du destin tragique de Cuéllar ?). Cette forme de narration et le format court portent en eux les limites du récit et représentent le seul reproche que je ferais à cette lecture : on nous parle d'un drame intime tout en restant à la surface des choses, sans nous laisser entrer un instant dans la tête du héros. Cette « superficialité » est bien frustrante !

La lecture du livre interroge sur la notion de handicap, de déformation, de désavantage et de ce qu'ils engendrent. Pourquoi certains sont-ils pris au sérieux tandis que d'autres sont des sujets de plaisanteries (sinon de brimades) pour le commun des mortels ? Pourquoi se moque-t-on toujours de l'idiot, du laid ou ici de « l'émasculé » quand il est devenu impensable pour la majorité de railler le trisomique ou le manchot ?

Mais ce que le livre aborde avant tout ce sont les implications du regard extérieur pour l'homme (avec un petit h) qu'il soit celui de ses coreligionnaires ou de la gent féminine et interroge sur la construction de la masculinité (construction ici empêchée par cette incapacité tenue plus ou moins secrète dont on suppose qu'elle l'entrave sexuellement). On retrouve sans surprise les comportements déviants et dangereux et que je dois bien reconnaitre comme plutôt typiques du sexe masculin : accès de violence, alcoolisation à outrance, conduite automobile dangereuse etc. La quatrième de couverture évoque un mythe de la virilité et un contexte spécifiquement péruvien mais j'ai malheureusement l'impression que l'essentiel du récit aurait pu facilement se transposer en ce début de XXIème siècle sous nos latitudes.

Merci à Marie-Hélène (mh17) et à sa critique du mois de juin pour m'avoir fait connaitre ce petit livre qui me donne envie de découvrir davantage l'oeuvre de Mario Vargas Llosa. En dépit de la légère frustration évoquée plus haut, ce fut une lecture aisée, plaisante et intéressante.
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