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Critique de ghjanlucca


« Les Lotophages » de Vassilis Vassilikos, est le second volume de la trilogie « Ta Kamakia » dont il est aussi le seul à avoir été traduit en français. Il paraît à Athènes en 1981.
Les Lotophages nous évoquent en premier lieu ce peuple que rencontrent Ulysse et ses compagnons au Chant IX de l'Odyssée, et dont ils vont partager la nourriture, cette douce fleur de lotos qui provoque l'oubli.
Ce livre mêle de manière savoureuse les thèmes « sociétaux » contemporains, lesquels se répondent tout au long du texte, avec pour point de départ ce soudain besoin de reconnaissance soulevé par la corporation en pleine expansion des kamakia, autrement dit des baiseurs de touristes. A travers ces opportunistes travailleurs du sexe se révèle la Grèce de l'après dictature qui s'initie à la nouvelle donne économique en même temps qu'elle la découvre : le tourisme, son économie, ses promesses, ses leurres, ses ravages.
C'est sur l'ile de Thassos (dont V. Vassilikos est originaire) que nous sommes conviés à observer ces bouleversements économiques, sociaux et culturels qui marquent cette fin de XXème siècle, auxquels s'ajoute l'entrée de la Grèce dans l'Union Européenne. Sur ce microcosme les centres de gravité se déplacent de l'intérieur vers le littoral, les moeurs changent, les usages tombent en désuétude, perdent leur sens. Pour retenir la mémoire il y a des mesures conservatoires, les fêtes traditionnelles deviennent spectacles touristiques et l'espace se fige en vue de sauvetages archéologiques. Rapidement c'est le regard de l'autre, l'étranger, le touriste, l'exilé ou l'émigré de retour, et ses besoins, qui, le temps d'un été, conditionnent la vie et l'avenir de la population de l'ile de Thassos.
Que sont alors les kamakia dans cet univers ? Eux qui sont sensés se situer à la marge « honteuse » de la société, constituent un lien essentiel dans un monde en folie, où l'amour qu'ils négocient a des vertus rééquilibrantes, voire thérapeutiques. Leurs efforts pour répondre à la demande et pour se doter d'une déontologie qui soit une garantie pour tous et toutes, ne diffèrent guère de ceux qui agitent le bref temps d'une saison touristique l'ensemble de la population ; une bonne mesure d'hypocrisie justifiant les meilleures intentions. Ils incarnent aussi ces jeunes Grecs, et un peu moins jeunes, qui pour ne pas être totalement oubliés du « progrès » s'imaginent un statut pas plus ridicule qu'un autre...
Si la manne touristique ressemble bien aux fleurs de l'oubli, on voit que tout le monde veut y gouter, quoiqu'il en coûte...
Une bonne dose de cynisme et d'humour adroitement réparties par Vassilikos pour faire passer avec intelligence une analyse amère du temps. Trente ans après sa sortie, le livre, aujourd'hui à la lumière d'une autre crise, demeure d'une étonnante actualité.
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