« Tu fais mal si tu loues ce que tu ne comprends pas bien, et pis encore si tu le blâmes » disait Léonard de Vinci.
Je lui demande sa définition de l’érotisme, de la pornographie.
— L’érotisme, la pornographie ?
— Oui.
— Mais ça n’est pas du tout la même chose, mademoiselle ! Il est de bon ton d’affirmer que c’est la même chose, mais ce n’est absolument pas le cas. L’érotisme promet un ailleurs, il est idéaliste. Dans le porno, pas d’ailleurs, c’est un matérialisme. Ce sont deux cousins qui regroupent presque les mêmes éléments, mais qui ne peuvent pas coucher ensemble.
— Et vous, vous penchez naturellement vers quoi ?
— Plutôt pornographe. Il y a un certain panache à affirmer « Je suis pornographe », c’est un peu du snobisme à l’envers. Le pornographe vit sa vie sans espoir d’ailleurs. Il n’est pas frustré, car il n’a pas d’espoir, il n’en a pas besoin.
— Le pornographe est donc malheureux.
— Pas plus malheureux qu’un autre. L’espoir frustre, vous l’avez sans doute déjà remarqué, non ? Ceci dit, je ne sais pas qui a raison. Vous m’avez demandé ma définition, je vous l’ai donnée. Et vous, vous êtes heureuse ?
Depuis l'intérieur, j'observe qui regarde la vitrine. Un homme à croix et col romain est arrêté en chemin par une paroissienne. La dame tourne le dos à la librairie, mais le prêtre est bien en face. Il converse un moment avec celle qui le retient là, n'est pas gêné par la proximité des titres et des photos affichées. Il m'aperçoit dans la boutique et me sourit sans vice. J'entends distinctement sa voix intérieure prononcer "le corps, je n'aurais pas pu le diviser pour en donner l'amour à une foule de personnes, alors j'ai choisi la foi, avec mon esprit, je peux multiplier mon amour."
Il est rasant. Pourtant ça ne devrait pas être compliqué ni contre nature, un libraire qui se livre. Je pouffe et repars à l’attaque.
— Je vous taquine, c’est une excellente question. Nous sommes une librairie érotique alors on ne va pas faire semblant, évidemment. La pudeur se trouve chez le vendeur et chez les gens qui nous font confiance et viennent acheter ici. La pudeur est dans l’accueil. Comme aux Pompes funèbres.
— Vous vous occupez aussi du deuil du désir ?
— Pas du tout. Ici, on vient faire le deuil de l’absence de désir…
Qui fait rendre les armes à cette brunette à l'allure décidée ? Combien de personnes lui reste-t-il à désirer ? À qui, à quoi est-ce que toutes ces femmes tentent comme moi en vain de résister ?