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Critique de motspourmots


Il y a une douzaine d'années, Sandro Veronesi nous avait offert Chaos calme ; un roman formidable dont le titre pourrait très bien convenir également à celui-ci. Dommage qu'un titre ne puisse être utilisé qu'une seule fois, même si l'auteur trouve, avec le colibri une façon de revisiter cette même notion, résumée par cette phrase dans une lettre adressée au héros, Marco Carrera : "Tu es un colibri parce que, comme le colibri, tu mets toute ton énergie à rester immobile. Tu réussis à t'arrêter dans le monde et dans le temps, à arrêter le monde et le temps autour de toi, et même parfois, à retrouver le temps perdu". Marco Carrera, ophtalmologiste qui peine à voir ce qui se passe autour de lui, qui subit le chaos de l'existence et le vaste désordre du monde mais qui porte, supporte sans broncher, comme chargé d'une mission qu'il se fait un devoir de mener à bien.

Le chaos, on le ressent jusque dans la construction du roman qui bouscule en permanence la chronologie et balade son lecteur comme une boule de flipper entre 1974 et 2030, avec un point d'entrée en 1999, au moment où la vie a priori tranquille de Marco s'apprête à basculer. Il suffit d'une révélation, par le psychologue de sa femme pour que Marco réalise à quel point il a refusé de voir l'évidence. Cette prise de conscience l'amène à revoir sa perception des événements parfois dramatiques qui ont régulièrement percuté sa famille depuis son enfance, que le lecteur découvre au rythme impulsé par la mémoire de Marco, c'est à dire dans un ordre tout à fait aléatoire. En fil rouge, la correspondance entre Marco et Luisa qui vivent depuis l'enfance un amour empêché et totalement platonique, mariés chacun de son côté, unis dans une relation difficile à cerner clairement mais qui semble autant vitale à l'un qu'à l'autre. Il est beaucoup question de liens dans ce roman, du rapport aux autres autant que du rapport au monde, une exploration qui trouve son apogée dans le trouble psychologique d'Adele, la fille de Marco, persuadée d'avoir un fil invisible dans le dos.

Tout le roman est une sorte de variation autour de la vision et du regard (la profession de Marco n'est pas choisie au hasard) : les yeux que l'on détourne, l'aveuglement, la cécité, les troubles (Marco ne voit ni de près ce qui se passe dans son couple, ni de loin les drames qui ravagent le monde tandis que son ami le Dr Carradori ouvre grand les yeux ce qui l'amène à changer de vie), les filtres ou les prismes qui altèrent la réalité, voire carrément la vision dans son sens divinatoire. Ne pas voir est pourtant ce qui permet à notre homme de se protéger, de rester vivant et, d'une certaine manière d'aider les autres à agir. Car Marco est la bonté même, dévoué, résistant, résilient. Mais désespérément aveugle. "Elle lui avait toujours menti, c'est vrai, et c'est mal, très mal, parce que le mensonge est un cancer qui se propage, s'enracine et se confond avec la substance même qu'il corrompt - mais lui, il avait fait pire. Il l'avait crue."

S'embarquer avec Marco Carrera est une sorte d'odyssée immobile dont l'épicentre est Florence et le terrain celui de la conscience humaine, une odyssée qui invite à élargir son angle de vue sans oublier de régler la focale sur les choses essentielles. Un roman où se mêlent force et douceur, crainte et confiance, vie et mort. D'où émerge une beauté diffuse et souvent bouleversante.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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