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Critique de Woland


Je ne voudrais pas insister lourdement, surtout à trois mois de l'évènement mais il faut quand même se méfier : on commence par vouloir interdire les crèches de Noël et comme les Français ne sont pas suffisamment lobotomisés pour ça, on finit par assassiner le Père Noël ... (Non, je ne voudrais pas insister mais bon, vous me connaissez : 1) je n'ai pas pu résister ; 2) deux précautions valent mieux qu'une ... )

Avec quatre-vingts années d'avance, Pierre Véry lance, dans ce roman, l'idée non pas d'interdire les crèches de Noël (idée qu'il aurait jugée parfaitement idiote, ce qu'elle est, d'ailleurs) mais d'assassiner le Père Noël. C'est l'un de ses romans les plus jouissifs, les plus poétiques et les mieux réussis. Tout y est blanc - "la neige étend son blanc manteau ..." comme l'a si souvent chanté Tino Rossi - sauf l'assassin, bien sûr, lequel souffre d'un coeur plus noir qu'un monceau de charbon de dernière qualité. Un assassin à complice d'ailleurs - et ça, c'est toujours très mauvais parce que, souvent, l'un des complices est plus idiot que l'autre . A l'épilogue, quand les meurtriers se font pincer, ça fait désordre ...

Le climat de "L'Assassinat du Père Noël" - et notre ami Prosper Lepicq, sous l'identité du marquis de Santa-Claus, le remarque d'ailleurs à un certain moment - est un climat de conte pour enfants. D'ailleurs, ceux-ci y sont rois dès les premières pages où l'on assiste au traditionnel défilé du Père Fouettard et de Saint-Nicolas, avec l'inénarrable chanson, qui parle de saloir et de porc , choeurs oh ! combien célèbres et qu'on devrait enseigner dans les écoles ... Tout de suite, le lecteur est plongé dans l'ambiance, largué sans parachute (pourquoi faire ? ) et, comme toujours avec Véry, n'éprouve aucune honte à recouvrer son âme d'enfant avec le folklore qui l'accompagnait.

Dans le petit village tout blanc dont je vous parle, il n'y a, bien sûr, qu'un seul Père Noêl pour assurer la "tournée" annuelle, le photographe Gaspard Cornusse qui a, il est vrai, le défaut d'avoir une "bonne descente." Cela fait des années que, tel le facteur mais beaucoup moins souvent, il effectue ses livraisons et quand des enfants aperçoivent, tout glacés, les pauvres petits, on les comprend, la houppelande du Père Noël et un corps ensanglanté dessous, les adultes, prévenus, ne vont pas chercher plus loin : on a tué Cornusse.

Mais voilà que le Dr Ricomet, après examen, constate que le cadavre, bien loin d'être celui du photographe, révèle un parfait inconnu. En tous cas, comme ça, au premier regard, sous les nuages bas, dans le soir qui gèle : l'homme est chauve et entièrement rasé. Un peu corpulent mais tout à fait inconnu.

Stupeur absolue des adultes au milieu des sanglots des petits, dont certains refuseront leurs jouets puisque "on a tué le Père Noël."

C'est vrai, des choses comme ça, comme interdire les crèches de Noël, ça ne se fait pas !

Evidemment, tout n'est pas si simple que je vous le décris et Véry s'amuse à compliquer une situation qui, au départ, aurait pu trouver sa solution bien plus vite. Tout d'abord, il y a la châsse, le "Bras d'Or du Roi René", reliquaire qui abriterait l'un des doigts du bon Roi René d'Anjou, reliquaire d'autant plus impressionnant qu'il est orné de diamants et d'émeraudes véritables. On le sort à chaque Noël, avant la Messe. Mais, en ce Noël tragique, une fois son appareil et ses spots installés, Cornusse, qui vient à chaque fois photographier la merveille, est sans appel : il n'y a plus ni diamants, ni émeraudes, rien que des cabochons. le malheureux abbé Fuchs manque y passer ... Mais comment ? Mais qui ? Mais pourquoi ? ...

Fort heureusement, cette année-là justement, Fuchs avait pris la précaution, après en avoir prévenu l'évêché, de faire appel à M° Prosper Lepicq, avocat à Paris, une pointure qui ne déteste pas jouer au détective privé. Là aussi, Véry va s'amuser en nous donnant, pour le prix d'un, deux Prosper Lepicq - sous l'identité du marquis de Santa-Claus - se relayant au village car le premier est tout simplement le secrétaire du second, du vrai Lepicq.

En filigrane, un fond de romance tout à fait charmante entre une petite Cendrillon (moins les maltraitances) et le baron de la Faille.

Bon, tout cela est bel et bon, me direz-vous mais le cadavre ? Qui est-ce ? Et surtout, pourquoi l'a-t-on tué ?

Il se trouve que, si je vous révélais son identité, je déflorerais l'intrigue et de cela, il n'en est pas question. Seul indice : j'ai cité le nom véritable du malheureux cadavre dans cette petite fiche. Voilà tout ce que vous aurez. Pour le reste, il vous faudra lire ce roman un peu lunaire mais attachant, où l'on retrouve parfois, agacé, le style émaillé de mélo de Véry, mais dont l'intrigue, cousue au petit point, se déroule dans une cohérence et une vraisemblance parfaites. Et puis, il y a, comme je l'ai déjà dit pour "Clavier Universel", cette atmosphère spéciale, que la fête de Noël fait ici culminer : neige, gel, nuages bas, chants de Noël, Père Fouettard, Saint Nicolas, un personnage qui porte son nom mais se dit noble et portugais, un véritable conte de fées entre l'aristocrate du coin et la petite servante, un Père Noël qui se dédouble, l'un restant mort non sur le carreau mais sur la neige, tandis que l'autre, Cornusse, qui a sacrifié un peu plus qu'il convient ce soir-là à la Dive bouteille, se rappelle des choses qu'il ne devrait pas se rappeler tandis qu'il en oublie d'autres qui se sont passées ce soir-là.

Jamais peut-être, sauf dans "Le Pays Sans Etoiles" - lequel n'est pas un policier - Véry n'a atteint à de tels sommets. Parmi les auteurs qui prennent le policier comme trame, il est un des plus atypiques - et des meilleurs, toutes ethnies confondues. Avec lui, on est à mille lieux de Chesterton et de Conan Doyle mais on ne s'en plaint pas. Humour et poésie traînent toujours à sa suite, avec, parfois, des percées authentiques dans le fantastique pur qui ravissent l'initié. Il ne plaira donc pas à tout le monde - cela, je crois aussi l'avoir déjà écrit quelque part - mais il faut au moins pénétrer une fois dans son univers ou, à tout le moins, frapper à la porte de celui-ci. Vous verrez presque aussitôt s'il vous convient ou non.

Pierre Véry : un OVNI du roman policier mondial - et il est français. Il faut tout de même le signaler. ;o)
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