AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HundredDreams


Le printemps approche et avant de quitter cette saison, j'ai eu envie de rester dans une ambiance hivernale avec ce roman de l'écrivain norvégien Tarjei Vesaas.
« le palais de glace » est pareil à un songe glacé. C'est un conte d'hiver, de glace et de neige qui aurait pu commencer par « Il était une fois ».
Pourtant, comme beaucoup de conte de fées, cette histoire n'est pas joyeuse, au contraire. Tarjei Vesaas parle d'amitié profonde, de perte, de décès et des sentiments de culpabilité indissociables du travail de deuil. Il évoque aussi avec beaucoup de retenue, la période délicate de l'adolescence et la sexualité pré-pubère.

*
Cette histoire, qui se concentre sur l'amitié entre deux fillettes, nous entraîne dans un village isolé de Scandinavie. Un monde sous cloche où la vie y est paisible, calme, rythmée par les changements de saisons : la glace, l'arrivée de la neige, le redoux.

Siss est intriguée par le comportement solitaire et secret d'Unn, une nouvelle élève du même âge. Effectivement, la fillette se tient délibérément à l'écart des autres enfants, ne cherchant pas à s'intégrer au groupe malgré les sollicitations de Siss. Alors, lorsqu'Unn l'invite chez elle pour la soirée, Siss sent qu'elles vont enfin pouvoir devenir de très bonnes amies.
En effet, quelque chose se passe alors qu'elles sont toutes seules dans la chambre, échanges, secrets, promesses, un lien indéfectible se tisse. Mais alors qu'elles jouent, Siss décide subitement de rentrer chez elle, cette intimité nouvelle devenant trop inconfortable pour elle.

Le lendemain, sur le chemin de l'école, Unn disparaît inexplicablement. Siss se sent alors responsable. Elle va alors vivre son deuil et sa souffrance à sa façon et à son rythme, portant le lourd fardeau de la mémoire d'Unn.

« Je te promets de ne penser qu'à toi.
Je penserai à tout ce que je sais de toi. Quand tu étais à la maison, à l'école, et sur le chemin de l'école. Toute la journée je penserai à toi, et aussi pendant la nuit, si je me réveille. »

L'absence de cette fillette la rend encore plus présente à nos yeux.

*
Cette histoire est touchante, à sa manière d'instaurer un climat emprunt d'une douleur intérieure. On comprend le manque, la culpabilité et la solitude de Siss par ses silences et son besoin d'isolement.
Les saisons qui passent, de l'automne au printemps, les changements physiques de la cascade constitueront une forme de catharsis.

Si on lit cette histoire du point de vue d'un adulte, les réactions de cet enfant peuvent étonnées, agacées, mais si on la lit du point de vue d'une enfant de onze ans, ses réactions sont alors parfaitement compréhensibles et logiques.

*
Cette histoire m'a séduite par son décor hivernal, sa beauté étrange et mystérieuse, et ce voile de tristesse et de mélancolie.
J'ai adoré les descriptions des paysages nordiques, le changement de saison, ce froid extrême qui pétrifie la forêt, solidifie le lac, paralyse la chute d'eau et enveloppe le lecteur d'un épais manteau de neige. La beauté des paysages glacés et figés que nous dépeint Tarjei Vesaas génère une sorte de torpeur, de lenteur, mais aussi une angoisse imperceptible et latente.
La raison principale est la présence d'une cascade gelée à proximité du village. Elle ajoute une force étrange, mystérieuse, obsédante, mais sombre, sinistre. Son apparence changeante, à la fois inanimée et prête à s'éveiller, s'animer, se transformer, se moduler, s'ouvrir et se refermer, la rende vivante, hypnotique, grondante, menaçante, et même monstrueuse.
L'image qui me vient à l'esprit pour la décrire est celle d'un poumon qui se gonfle, se rétracte, crépite.

Son existence laisse des traces ineffaçables entre les lignes du roman. Et même lorsque le récit s'éloigne d'elle, mon esprit me ramenait sans cesse à ce Palais des glaces, comme s'il m'attirait et m'emprisonnait dans ses serres invisibles.

« Un palais ensorcelé. Il fallait essayer d'y pénétrer si, toutefois, on pouvait trouver une entrée ! On y découvrirait sûrement une quantité de passages et de portails étranges. Il fallait y aller. »

Mais ce palais de glace a également un aspect fragile et éphémère, car il peut se disloquer à chaque instant au moment du dégel.

« Personne ne put être témoin de la fin du palais. Cela se passa pendant la nuit, lorsque les enfants étaient couchés. »

*
L'écriture m'a saisie aussi par sa poésie et sa froidure. La prose de l'auteur, onirique, minimaliste, métaphorique, pleine de symboles est magnifique.

« Elle voyait bien qu'il ne s'agissait que de l'eau, mais malgré tout, cette pièce n'était que pleurs. Une lourde oppression la gagnait. Ce n'était pas ici qu'elle serait capable de lancer un appel, pas plus qu'en recevoir. »

Toute cette glace crée un mur de silence qui fait barrage aux émotions. Je dois avouer que la poésie de l'auteur n'a pas réussi à m'emporter entièrement. le coup de coeur n'était pas très loin, mais le mutisme de Siss m'a un peu gênée, j‘aurais aimé me plonger dans ses pensées pour davantage m'attacher à elle.
Mais faut-il s'attacher aux personnages pour apprécier un roman ? Certes non, en ce qui me concerne.

*
Pour conclure, le résumé nous présente ce roman comme un chef-d'oeuvre de la littérature scandinave. Je n'irai pas jusque là. Néanmoins, la plume poétique de Tarjei Vesaas a su retranscrire le froid, la beauté de ces paysages enneigés pour en faire un très beau roman d'ambiance.
J'ai adoré les descriptions du palais laissant couler ses larmes de glace.
J'ai aimé ces moments suspendus, ces silences, ce mélange de rêves et de réalité.

Mais, ce roman pourrait aussi laisser de glace. Les non-dits, les émotions peu exprimées peuvent laisser un sentiment d'inachevé tout comme séduire, offrant une belle impression feutrée et irréelle.
Je vous laisse en juger par vous-même, mais ce qui est sûr, c'est que ce roman ne laisse pas indifférent.
Commenter  J’apprécie          4222



Ont apprécié cette critique (39)voir plus




{* *}