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Citations sur Après m'avoir fait tant mourir (41)

AU TEMPS DE L'EMPRISONNEMENT ET DU PROCÈS (1623-1625)

XXXIX
Lettre de Théophile à son Frère


Ah! que les cris d’un innocent,
Quelques longs maux qui les exercent,
Trouvent malaisément l’accent
Dont ces âmes de fer se percent !
Leur rage dure un an sur moi
Sans trouver ni raison ni loi,
Qui l’apaise ou qui lui résiste ;
Le plus juste et le plus Chrétien
Croit que sa charité m’assiste
Si sa haine ne me fait rien.

L’énorme suite de malheurs !
Dois-je donc aux races meurtrières
Tant de fièvres et tant de pleurs,
Tant de respects, tant de prières,
Pour passer mes nuits sans sommeil,
Sans feu, sans air et sans Soleil,
Et pour mordre ici les murailles,
N’ai-je encore souffert qu’en vain ?
Me dois-je arracher les entrailles
Pour soûler leur dernière faim ?

Parjures infracteurs des lois,
Corrupteurs des plus belles âmes,
Effroyables meurtriers des Rois,
Ouvriers de couteaux et de flammes,
Pâles Prophètes de tombeaux,
Fantômes, Loups-garous, corbeaux,
Horrible et venimeuse engeance,
Malgré vous race des enfers,
À la fin j’aurai la vengeance
De l’injuste affront de mes fers.

Derechef, mon dernier appui,
Toi seul dont le secours me dure,
Et qui seul trouves aujourd’hui
Mon adversité longue et dure,
Rare frère, ami généreux,
Que mon sort le plus malheureux
Pique davantage à le suivre,
Achève de me secourir :
Il faudra qu’on me laisse vivre
Après m’avoir fait tant mourir.

p.202-203
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AU TEMPS DE L'EMPRISONNEMENT ET DU PROCÈS (1623-1625)

XXXIX
Lettre de Théophile à son Frère


En quelle place des mortels
Ne peut le vent crever la terre?
En quel palais et quels autels
Ne se peut glisser le tonnerre?
Quels vaisseaux et quels matelots
Sont toujours assurés des flots?
Quelquefois des villes entières
Par un horrible changement
Ont rencontré leurs cimetières
En la place du fondement.

Le sort qui va toujours de nuit,
Enivré d’orgueil et de joie,
Quoiqu’il soit sagement conduit
Garde malaisément sa voie.
Ah! que les souverains décrets
Ont toujours demeuré secrets
A la subtilité de l’homme!
Dieu seul connaît l’état humain:
Il sait ce qu’aujourd’hui nous sommes,
Et ce que nous serons demain.

Or selon l’ordinaire cours
Qu’il fait observer à nature,
L’astre qui préside à mes jours
S’en va changer mon aventure.
Mes yeux sont épuisés de pleurs,
Mes esprits, usés des malheurs,
Vivent d’un sang gelé de craintes.
La nuit trouve enfin la clarté,
Et l’excès de tant de contraintes
Me présage ma liberté….

p.197

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AU TEMPS DE L'EMPRISONNEMENT
ET DU PROCÈS (1623-1625)

XXXVIII - LA MAISON DE SYLVIE
Ode II


Mais le parc pour ses nourrissons
Tient assez de crèches couvertes
Que la neige ni les glaçons
Ne trouveront jamais ouvertes.
Là le plus rigoureux hiver
Ne les saurait jamais priver,
Ni de loge ni de pâture :
Ils y trouvent toujours du vert
Qu’un peu de soin met à couvert
Des outrages de la Nature.

Là les faisans et les perdrix
Y fournissent leurs compagnies
Mieux que les Halles de Paris
Ne les sauraient avoir fournies.
Avec elles voit-on manger
Ce que l’air le plus étranger
Nous peut faire venir de rare,
Des oiseaux venus de si loin
Qu’on y voit imiter le soin
D’un grand Roi qui n’est pas avare.

Les animaux les moins privés
Aussi bien que les moins sauvages,
Sont également captivés
Dans ces bois et dans ces rivages.
Le maître d’un lieu si plaisant
De l’hiver le plus malfaisant
Défie toutes les malices :
À l’abondance de son bien
Les Éléments ne trouvent rien
Pour lui retrancher ses délices.

p.157
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AU TEMPS DE L'EMPRISONNEMENT
ET DU PROCÈS (1623-1625)

XXXVIII - LA MAISON DE SYLVIE
Ode II


Lorsqu’à petits flocons liés,
La neige fraîchement venue
Sur de grands tapis déliés
Épanche l’amas de la nue,
Lorsque sur le chemin des Cieux
Ses grains serrés et gracieux
N’ont trouvé ni vent ni tonnerre,
Et que sur les premiers coupeaux
Loin des hommes et des troupeaux,
Ils ont peint les bois et la terre,

Quelque vigueur que nous ayons
Contre les esclaves qu’elle darde,
Ils nous blessent, et leurs rayons
Éblouissent qui les regarde.
Tel dedans ce parc ombrageux
Éclate le troupeau neigeux,
Et dans ses vêtements modestes,
Où le front de Sylvie est peint,
Fait briller l’éclat de son teint
À l’envi des neiges célestes.

En la saison que le Soleil
Vaincu du froid et de l’orage,
Laisse tant d’heures au sommeil
Et si peu de temps à l’ouvrage,
La neige, voyant que ces daims
La foulent avec des dédains
S’irrite de leurs bonds superbes,
Et pour affamer ce troupeau,
Par dépit sous un froid manteau
Cache et transit toutes les herbes….

p.156
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AU TEMPS DE L'EMPRISONNEMENT ET DU PROCÈS (1623-1625)

XXXIX
Lettre de Théophile à son Frère


S’il plaît à la bonté des Cieux
Encore une fois à ma vie
Je paîtrai ma dent et mes yeux
Du rouge éclat de la Pavie ;
Encore ce brignon muscat
Dont le pourpre est plus délicat
Que le teint uni de Caliste,
Me fera d’un œil ménager
Étudier dessus la piste
Qui me l’est venu ravager.

Je cueillerai ces Abricots,
Les Fraises à couleur de flammes,
Où nos Bergers font des écots
Qui seraient ici bons aux Dames,
Et ces Figues et ces Melons
Dont la bouche des Aquilons
N’a jamais su baiser l’écorce,
Et ces jaunes Muscats si chers
Que jamais la grêle ne force
Dans l’asile de nos Rochers.

Je verrai sur nos Grenadiers
Leurs rouges pommes entrouvertes,
Où le Ciel comme à ses lauriers
Garde toujours des feuilles vertes ;
Je verrai ce touffu Jasmin
Qui fait ombre à tout le chemin
D’une assez spacieuse allée,
Et la parfume d’une fleur
Qui conserve dans la gelée
Son odorat et sa couleur….

p.199
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AU TEMPS DE L'EMPRISONNEMENT ET DU PROCÈS (1623-1625)

XXXIX
Lettre de Théophile à son Frère


Si je passais dans ce loisir
Encore autant que j’ai de vie,
Le comble d’un si cher plaisir
Bornerait tout mon envie ;
Il faut qu’un jour ma liberté
Se lâche en cette volupté :
Je n’ai plus de regret au Louvre :
Ayant vécu dans ces douceurs,
Que la même terre me couvre
Qui couvre mes prédécesseurs.

Ce sont les droits que mon pays
A mérités de ma naissance,
Et mon sort les aurait trahis
Si la mort m’arrivait en France ;
Non, non, quelque cruel complot
Qui de la Garonne et du Lot
Veuille éloigner ma sépulture,
Je ne dois point en autre lieu
Rendre mon corps à la nature,
Ni résigner mon âme à Dieu.

L’espérance ne confond point ,
Mes maux ont trop de véhémence,
Mes travaux sont au dernier point,
Il faut que mon repos commence ;
Quelle vengeance n’a point pris
Le plus fier de tous ces esprits
Qui s’irritent de ma constance!
Ils m’ont vu lâchement soumis
Contrefaire une repentance
De ce que je n’ai point commis….

p.201
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AU TEMPS DE L'EMPRISONNEMENT ET DU PROCÈS (1623-1625)

XXXIX
Lettre de Théophile à son Frère


Mon Dieu, mon souverain recours
Peut s’opposer à mes misères,
Car ses bras ne sont pas plus courts
Qu’ils étaient au temps de nos Pères.
Pour être si prêt à mourir
Dieu ne me peut pas moins guérir:
C’est des afflictions extrêmes
Qu’il tire la prospérité,
Comme les fortunes suprêmes
Souvent le trouvent irrité.

Tel de qui l’orgueilleux destin
Brave la misère et l’envie,
N’a peut-être plus qu’un matin
Ni de volupté ni de vie.
La Fortune qui n’a point d’yeux,
Devant tous les flambeaux des Cieux
Nous peut porter dans une fosse ;
Elle va haut, mais que sait-on
S’il fait plus sûr dans son carrosse
Que dans celui de Phaéton?

Le plus brave de tous les Rois
Dressant un appareil de guerre
Qui devait imposer des lois
À tous les peuples de la terre,
Entre les bras de ses sujets,
Assuré de tous les objets
Comme de ses meilleurs gardes,
Se vit frapper mortellement
D’un coup à qui cent hallebardes
Prenaient garde inutilement….

p.196
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AU TEMPS DE L'EMPRISONNEMENT
ET DU PROCÈS (1623-1625)

XXXVIII - LA MAISON DE SYLVIE
Ode I


Quelle dureté peut avoir
L’objet que ma Princesse touche,
Qu’elle ne puisse le pourvoir
Tout aussitôt d’âme et de bouche?
Dans ses bâtiments orgueilleux,
Dans ses promenoirs merveilleux,
Quelle solidité de marbres
Ne pourront pénétrer ses yeux?
Quelles fontaines et quels arbres
Ne les estimeront des Dieux?

Les plus durs chênes entrouverts,
Bien plutôt de gré que de force,
Peindront pour elle de mes vers
Et leurs feuilles et leur écorce,
Et quand ils les auront gravés
Sur leurs fronts les plus relevés,
Je sais que les plus fiers orages
Ne leur oseront pas toucher,
Et pourront plutôt arracher
Leurs racines et leurs ombrages.

Je sais que ces miroirs flottants
Où l’objet change tant de place,
Pour elle devenus constants
Auront une fidèle glace,
Et sous un ornement si beau,
La surface même de l’eau,
Nonobstant sa délicatesse,
Gardera sûrement encrés
Et mes caractères sacrés
Et les attraits de la Princesse.

Mais sa gloire n’a pas besoin
Que mon seul ouvrage en réponde,
Le Ciel a déjà pris le soin
De la peindre par tout le monde ;
Ses yeux sont peints dans le Soleil,
L’Aurore dans son teint vermeil
Voit ses autres beautés tracées,
Et rien n’éteindra ses vertus
Que les Cieux ne soient abattus
Et les étoiles effacées.

p.152-153
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AU TEMPS DE L'EMPRISONNEMENT
ET DU PROCÈS (1623-1625)

XXXVIII - LA MAISON DE SYLVIE
Ode I


Pour laisser avant que mourir
Les traits vivants d’une peinture,
Qui ne puisse jamais périr
Qu’en la perte de la Nature,
Je passe de crayons dorés
Sur les lieux les plus révérés,
Où la vertu se réfugie,
Et dont le port me fut ouvert
Pour mettre ma tête à couvert
Quand on brûla mon effigie.

Tout le monde a dit qu’Apollon
Favorise qui le réclame,
Et qu’avec l’eau de son vallon,
Le savoir peut couler dans l’âme :
Mais j’étouffe ce vieil abus,
Et bannis désormais Phébus
De la bouche de nos Poètes ;
Tous ses Temples sont démolis
Et ses démons ensevelis
Dans des sépultures muettes.

p.149
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AU TEMPS DE L'EMPRISONNEMENT
ET DU PROCÈS (1623-1625)

XXXVIII - LA MAISON DE SYLVIE
Ode II


Ses yeux jetaient un feu dans l’eau,
Ce feu choque l’eau sans la craindre,
Et l’eau trouve ce feu si beau
Qu’elle ne l’oserait éteindre.
Ces Éléments si furieux
Pour le respect de ses beaux yeux
Interrompirent leur querelle,
Et de crainte de la fâcher
Se virent contraints de cacher
Leur inimitié naturelle.

Les Tritons en la regardant
Au travers leurs vitres liquides,
D’abord à cet objet ardent
Sentent qu’ils ne sont plus humides,
Et par étonnement soudain,
Chacun d’eux dans un corps de daim,
Cache sa forme dépouillée,
S’étonne de se voir cornu,
Et comment le poil est venu
Dessus son écaille mouillée.

Soupirant du cruel affront
Qui de Dieux les a faits des bêtes,
Et sous les cornes de leur front
A courbé leurs honteuses têtes,
Ils ont abandonné les eaux,
Et dans la rive où les rameaux
Leur ont fait un logis si sombre,
Promenant leurs yeux ébahis,
N’osent plus fier que leur ombre
À l’étang qui les a trahis….

p.154
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