Citations sur L'homme naît grâce au cri : Poèmes choisis (1950-2012) (42)
LES ORTIES NOIRES
FLAMBENT DANS LE VENT
À Adrien Finck
Parfois je crois surprendre un écho dans l’oreille
de ces mots murmurés,
que des voix de jadis, depuis longtemps perdues,
disaient presque en silence :
ainsi suinte la pluie de campagne en automne
à travers les feuilles mortes, avec tant de patience,
à la lisière du petit bois de chêne gris et touffus
où le Ruisseau-Rouge chuchote,
puis elle s’enfuit goutte à goutte dans la terre,
à pas de souriceaux, comme fait la semence,
par le chemin profond,
la sente aux orties noires.
p.199
LA VALLÉE DES OSSEMENTS
LA CLEF DE L’ORIGINE
Ils demeurent assemblés en permanence le jour sans fin
du Grand pardon
Convoqués dans la tunique rituelle aux lacets de lin
dénoués pour l'éternité
La langue chargée de terre et blanchie par le jeûne
Ils tiennent leur réunion plénière jusqu'à la consomma-
tion des siècles
Engagés dans le colloque silencieux
Qui précède au jour du jugement le verdict sans appel des
cornes archangéliques
En ce jour le Seigneur sonnera de la corne
Teki'ah Teru'ah Teki'ah
p.67-68
LA POÉSIE
Qu'est-ce donc que la poésie ? Un feu de camp aban=
donné,
qui fume longuement dans la nuit d'été, sur la mon-
tagne déserte.
Retrait du monde et de moi-même,
Souvent je l'ai entendu germer dans la pierraille de la
montagne,
Le grondement muet dont naîtra le tonnerre.
p.156
L'ACTE DU BÉLIER
LOI DU POÈTE
Mieux que la haute idée,
Plus que l'image impure,
Seul le rythme est mon roi :
Orage ou chevelure,
J'entends battre le sang du monde
Aux tympans aigus de la pluie,
Comme un torrent plein de lumière obscure
Roulerait son or froid
Vers l'oreille profonde
Et noire de la terre :
Chassant vers l'embouchure
D'un mince lit d'artère
L'éclair de l'épée arrachée
Aux poumons rouillées de la nuit.
p.157
DÉLIVRANCE DU SOUFFLE
NOYAU PULSANT
Le vent de nuit court entre les maisonnettes basses
aux fenêtres verrouillées.
Il envahit les corps errants dans les impasses muettes
et rompt sous les arceaux des porches en plein cintre
les longues façades jaunes et roses du calcaire :
ruches closes
peuplées de vieillards secs, pareils à des momies,
maigres abeilles en caftans d'or
usés jusqu'à l'aiguillon d'os,
et d'enfants kurdes endormis
comme troupeaux d'agneaux frisants
amassés dans la nuit qui est le ventre de l'été
sous la jeune lune de Tammouz *
p.165-166
* Tammouz : quatrième mois du calendrier hébreu.
LA DEMEURE EST LE SECRET
La demeure est le secret
dont l'exil fut la quête :
une présence errante
dans le vent du désert.
Nous pourrons revenir à la maison perdue
grâce aux paroles tues,
comblées par le silence.
Lèvres toujours en mouvement,
coupure et lien,
passage du vivant,
hiatus franchi d'un bond
entre la lettre et le souffle :
dans un cri s'enracine
le secret de la demeure, son silence est ma source….
p.212
DÉLIVRANCE DU SOUFFLE
NOYAU PULSANT
Forêts d'instants fleuris en chœur sur les collines
grappes d'éternité
soudainement mûries
aux vignes de l'espace,
le temps danse immobile
dans l'intervalle obscur
d'un souffle au cœur où rient
mes syllabes de feu sur les toits chaulés de la ville.
p.165
LA VALLÉE DES OSSEMENTS
LA CLEF DE L’ORIGINE
Comment réconcilierons-nous les tronçons d'une vie
écartelée
Entre le passé mort et l'agonie sans terme de l'avenir ?
Pour la lune cachée du septième mois la corne annon-
ciatrice
Sonne trois fois trente et dix fois et c'est toujours l'unique
Appel qui réveille dans l'abîme le feu de la merci suprême :
« RA'HAMIM RA'HAMIM RA'HAMIM »*
Pour la gloire du royaume
Pour la fidélité du souvenir
Pour l'humilité de l'observance
Prier
C’est écouter
La corne du silence.
Je reviens d’Amérique
Leur rendre visite comme autrefois au début du printemps
J’allais vers eux depuis l’Amérique autrement lointaine de
l’enfance
C’est pour leur signifier qu’entre nous le pacte n’est
point rompu
Que nous sommes toujours en relations charnelles
En dépit des difficultés internationales
Et du prix montant des moyens de transport transatlan-
tiques.
Nous sommes demeurés en contact de monde mort à
monde mort
Et nous n’entreprenons rien sans consultations réciproques
Dans la grande cité souterraine
De la paix qui nous unit depuis l’origine….
p.68
* Pitié. Ce mot est le pluriel de re 'hem, qui signifie « matrice »
CHANSON DE L’OISELEUR
Sauvage oiseleur, chante et ris,
tu bois le sang du paradis.
Tes faucons chassent la perdrix,
le geai, la grive et le courlis —
Cruel oiseleur, chante et ris,
de chair d’anges tu les nourris,
Subtil oiseleur, chante et ris,
comme le voleur tu m’as surpris ;
sombre oiseleur, va-t’en d’ici
tu veux le cœur et l’âme aussi.
Va-t’en d’ici, sombre oiseleur,
avec tes faucons de malheur.
Ils ont saigné grèbe et courlis,
surpris les merles sur les nids :
ils m’ont ravi mon clair souci
saigné le cœur et l’âme aussi.
Va-t’en d’ici, bel oiseleur,
je reste seul dans ma douleur.
p.105
DÉLIVRANCE DU SOUFFLE
NOYAU PULSANT
Noyaux pulsants
soubresauts du désir –
feu et nuit sont la trace
qui charrie le torrent du cri enseveli.
Montagne rousse de Judée, immense ruche
où s'accomplit l'osmose !
Les alvéoles gonflés de miel
s'échangent dans le placenta sonore de la terre.
Mordue à pleines dents la géode lactée,
descellée et brisée – avec quelle terreur –
la sphère close de la caverne première :
comment
arracher les noyaux de quartz doré
où demeure l'antique lumière ?
Dîme de la nuit verte,
prémices nées de plus haut que le ciel :
dans un commencement
l'éclair tomba
nu sur les vagues du calcaire en fusion.
Les croissants de sel gemme
ont cuit sous haute pression
dans les fours rouges des collines de Jérusalem....
p.166