L'homme en uniforme était avachi contre le mur, le pied droit posé à plat afin de lui assurer une stabilité précaire.
- Fait chier de jouer les plantes vertes, c'est la troisième vacation que l'on passe dans cet hôpital pourri. Je ne suis pas entré dans cette maison pour faire le garde-malade.
Le jeune policier en tenue tira d'un coup sec le câble qui rechargeait son smartphone. La prise mâle fixée au mur ne céda pas et le fil électrique se désolidarisa.
- Putain, je fais comment pour mes jeux, pour répondre à mes potes sur Snapchat ? Plus de batterie, ça va être la galère... Chef, c'est pas normal de rester ici à surveiller cette meuf depuis deux jours. Vous trouvez pas ?
Son interlocuteur, un homme d'une cinquantaine d'années, sec comme un marathonien, se figea devant lui.
- T'es gentil, garçon. Pour info, t'es à l'abri et tu peux poser à souhait ton cul sur une chaise. La climatisation t'évite de transpirer comme un veau contrairement à tes petits camarades qui sont sur la voie publique.
Le chef se rapprocha de son subalterne, front contre front.
- La meuf, comme tu dis, c'est une victime. Elle pourrait être ta petite amie. Elle s'est fait violer et a été laissée pour morte dans une déchetterie. On est ici pour la protéger. Maintenant, tu vas ranger ton putain de téléphone, rendre la chaise aux infirmières et tu vas rester debout devant la porte à surveiller la jeune femme. C'est l'une des missions de la police nationale, le métier pour lequel tu as signé. Ça te parle ?
Le jeune policier se décomposa et s'enfonça dans son siège, les bras ballants.
- Hé, garçon, je n'ai pas l'habitude de dire les choses deux fois.
Ça devenait une sale habitude. Selim avait vu davantage ce flic en une semaine que sa mère. Au fond de lui, il avait du mal à le tolérer. Il s'agissait, selon sa vision du monde, d'une relation contre nature, d'une confusion des genres inacceptable. Une société bien ordonnée devait placer une ligne de démarcation franche entre voyous et policiers. En cela, Selim tenait des positions très conservatrices.
La partie pouvait commencer. Il serait le chasseur.
Dans son SMS, Selim lui avait fixé rendez-vous à 11 heures au KFC, cette chaîne de restauration apprécié des jeunes pour ses poulets frits.
Floréal se désolait de ces rendez-vous pris par ses tontons dans des fast-food ou kebabs. Il en venait à regretter l'ancienne génération de "cousins" qui se mettaient à table devant un navarin de bœuf et un château Margaux. Tout un art de vivre avait foutu le camp.
Les jeunes truands avaient tué le métier. Ils préféraient avaler un cheeseburger saturé en graisse plutôt que de se taper la cloche dans les bonnes auberges parisiennes.
Tout était sous contrôle. Sauf, peut-être Floréal. Le taulier le surveillait comme le lait sur le feu. Il le savait capable de mettre en péril ses plans de carrière. Indomptable, trop rétif à l'autorité, une grenade dégoupillée.
Sassone ne le portait pas dans son cœur. Vincent l'avait senti dès son premier regard. J'ai gagné un emmerdeur de première.
Floréal l'avait jugé, reniflé comme un chien, puis rejeté. Ils n'étaient pas faits du même cuir.
Avec les Hommes, attends-toi au pire, tu ne seras jamais déçu.
Auteur inconnu