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Critique de cedratier


« La Grande Villa » Laurence Vilaine (79p, Gaïa).
Un très court roman ; c'est écrit dessus. Mais si un roman nous raconte une histoire, comme les aiguilles à tapisser finissent par dessiner un paysage cohérent, alors peut-être est-ce autre chose qu'un roman, et même pas exactement un récit ; on a l'impression que LV tire sur la pelote emmêlée, défait les noeuds du fil d'une vie comme ils lui viennent à la mémoire, à partir d'un évènement très précis et douloureux, celui de la perte, du deuil.
J'ai eu un peu de mal dans les vingt premières pages, car je n'ai pas vu où l'auteur voulait m'emmener ; comme s'il y avait une intention délibérée de brouiller les pistes, de retenir quelque chose (et dans ces situations de lecture, je résiste à lâcher prise, à me laisser guider sans savoir où l'on va). Malaise assez vite dissipé, car le voile se lève petit à petit sur l'objet de ce texte, et on est, alors, gagné par la bouleversante intensité qui s'en dégage.
Les observations, fines, font mouche : le malaise du vieil homme et ses stratégies pour masquer ses ignorances ; le moment, poignant, où il prend conscience de ses égarements de plus en plus importants. Et quand LV file la métaphore, c'est très parlant ; telle celle de l'enfant qui préfère les fraises aux cerises pour camoufler sa crainte de monter à l'arbre. Et puis il y a l'écriture comme exigence absolue, qui s'abreuve ici pour Laurence Vilaine de la perte et du manque, de la souffrance ; ou l'écriture comme violence lorsque, tel un amant lassé, elle se refuse, et il n'y a plus qu'impuissance.
Et dès les premières lignes, j'ai été saisi par une langue très soignée, poétique et vivante, très imagée aussi, et c'est sans doute là que ce livre prend toute son épaisseur. Pas de démonstration, juste quelques citations :
« - (…) la chaleur, ramassée dans les murs et entre les lattes du vieux parquet, assoupie dans les grands rideaux épais ou juste posée sur les tomettes grâce à elle toujours tièdes… »
« - Peut-être que je combats des tourments qui ne sont pas les miens et que je pleure à éplucher les oignons des autres. »
« - Ecrire n'est plus à ma portée (…) Pas un mot. Que je gratte à sa porte, ou que je cogne, l'écriture ne répond pas, et quand je cours et la rattrape, elle change de trottoir et chausse les lunettes noires. Je perfore mes pages de blancs, de « peut-être « et de « sans doute ». Ça répond absent. »
« - Peut-être faut-il des nuits comme celles-ci qui ne veulent pas du matin, parce qu'elles donnent aux mots le temps de dormir un peu, et la chance de renaître. »
Un livre de la souffrance, celle de perdre l'être cher ou de se heurter aux mots qui ne veulent pas, de la difficulté de « faire littérature », mais un livre aussi où la nature est évoquée avec une très belle sensualité.
Intense, très bien écrit, et très émouvant, c'est une belle petite pépite.
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