Citations sur La Grande Villa (20)
Faire lentement pour faire juste, comme quand je parle je cherche le mot qui rarement me vient d'emblée, étirant souvent les silences comme on tire un fil de sucre brûlant jusqu'à ce qu'il froidisse et se brise. J'ai le besoin de cette justesse-là qui semble conduire au plus proche de soi, qui touche le coeur et colle tous les morceaux, alors on se sent un tout, un bloc, un morceau vivant jusqu'à la moelle. Ca pourrait ressembler à quelque chose de la vérité, à quelque chose de sa propre vérité, presque comme une certitude, peut-être la seule possible et défendable : ça toucherait du doigt qui on est exactement, justement, à ce moment-là quand on se sent comme un bloc. Ca dit le vrai de l'instant, ça dit le vivant, comme il est, oui, à cette seconde-là précisément. Je ne sais pas s'il y a les mots justes pour ce que je veux dire là.
En nageant je t’ai parlé. Des mots à toi comme une
évidence, un flux de mots au rythme de mes gesticulations
dans l’eau, puis je les ai égarés – peut-être
parce que je nage vite, oui, je me dépêche et je nage
en désordre. Mes mâchoires restent soudées, et mes
poumons dans leur étau. Je suis presque nue, mais
une cuirasse écrase ma poitrine et pour flotter il me
faut batailler. J’alterne les nages, je tourne la tête, je
l’immerge, je cherche l’oxygène – juste respirer parfois
fait mal.
Je nage entre les lignes comme j'écris sur celles de mon cahier, sans pause et en levant à peine la pointe de mon crayon - et comme on ne rebrousse pas chemin dans le désert, je ne fais pas de ratures, je les garde tous, les mots et leurs silences, qui peut-être, conduiront au plus juste.
Quand l'écriture trouve la grande solitude pour y naître, on n'est plus seul.
Il fait silence dans la Grande Villa, et aussi tout autour.
Mais je t’entends.
J’éteins la lampe.
Et je fais comme si de rien n’était.
Une enjambée me sépare de mon lit, je m’y allonge.
Et je rabats le drap sur ma tête – les moustiques ne
m’auront pas, et au cas où le téléphone sonnerait, peut-
être qu’ainsi je ne l’entendrai pas.
Je te parle comme on écrit une lettre, ou peut-être
est-ce l’inverse. Aura-t-elle l’épaisseur d’un cahier, j’en
serais heureuse, cela signifiera peut-être que j’aurai
réussi à tenir la conversation, à dire ce que j’ignore,
là, maintenant du haut de cette page vierge. J’ai écarté
mon clavier pour un crayon, et quand d’habitude je
préfère les feuilles sans marges ni carreaux, hier leur
blancheur m’a donné le sentiment que j’allais m’y
noyer – j’ai acheté un cahier avec des lignes. Cette fois,
je travaillerai dans la grande chambre
Oh non, bien sûr que non, cette lettre n'est pas un procès, elle est une simple adresse, comme une urgence, un souci de consolation que je t'envoie, ou est-ce un besoin de réparation que je guette ? Un post-scriptum qui veut te dire, ce n'était pas grave ? Peut-être devrait-on installer des boîtes postales à la grille des cimetières, pour les nota bene, les errata, un sorte de lettre au Père Noël sans secrétaire pour la réponse - s'il vous plait, pour les non-dits quand vous n'étiez pas morts, un dernier mot, promis et on vous laisse mourir en paix.
Tu sais, peut-être qu'écrire, c'est comme aimer.
C'est lorsque "ça écrit" qu'on se rend compte combien c'était le vide avant, avant ce matin-là quand débarque l'amour, quand on marche autrement, ce matin qui dit qu'on aime vraiment. L'écriture, c'est alors comme un baiser sur le papier, et on veut fermer les yeux, on veut que la rencontre dure.
Oui. On veut rencontrer longtemps.
Ecrire, c'est crier sans bruit, cracher entre les lignes, aimer en secret, frissonner beaucoup. Et c'est un peu mourir que perdre ça.
On écrit avec le désespoir, et la tristesse, avec la colère et la joie, avec l'amour aussi, oui, avec tout ça qui fournit de l'encre, ou si on n'écrit pas tout de suite avec, on en remplit des citernes pour plus tard.
La nuit respire à la fenêtre - si je regarde le ciel sans ciller, est-ce que je verrai les étoiles naître ?