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Critique de Kirzy


°°° Rentrée littéraire 2023 # 32 °°°

« Au moment précis où, enfin, Henni s'apprête à s'enfuir au-dehors dans la neige, c'est le plus grand, le plus maigre des hommes entrés dans la maison qui arrache le dernier bébé du sein de Pessia et le soulève au-dessus de lui. le cri qui monte avec l'enfant emplit l'air de faisceaux, de fumées, de roches explosives. »

Ce sont les premières phrases. Quelque part en Europe de l'Est au début du XXème siècle nous dit la quatrième de couverture. Un pogrom ravage un shtetl, une communauté villageoise où sont contraints de vivre les juifs de l'empire russe, celui de Henni, fillette de huit ans. La violence est bien là, insupportable dans ce qu'elle imprime chez le lecteur, mais jamais le mot de « pogrom » n'est utilisé dans le roman, jamais le nom du lieu ou la date exacte, même si on pense fort au pogrom de Kichinev ( Bessarabie, actuelle Moldavie ) en 1903.

« Puis on entend un bruit, comme un coup, et voilà qu'apparaissent en nuée les chansons dont Henni a bercé le bébé, voilà les noms inventés tant de fois murmurés en secret. Ils flottent autour de l'étagère à thé, tous, et avec eux les baisers longs posés sur les paupières, les bars tendus, les tapotis de réconfort, les fouissements chauds au creux des poings minuscules refroidis par les courants d'air. A mesure qu'elle les avait donnés, ils s'étaient donc blottis dans la poitrine et sous les cheveux de l'enfant, tel un duvet posé sur un autre et sur un autre encore, jusqu'à bâtir le corps doux d'un oiseau à l'intérieur de lui. Les petits noms, les souffles, les gestes et les images qui l'ont rendue si fière, et puis aussi les mots. Ils sont ici juste après le bruit, tournoyant sous l'étagère à thé en une cendre plumeuse. Henni voit tout dans un miroitement de lumière, et juste après elle ne voit plus rien. »

Les Ciels furieux n'est pas un roman historique car c'est avant tout l'histoire de Henni et de sa fuite avec les rescapés de sa fratrie, vingt-quatre heures à hauteur d'enfant, d'une fillette qui n'a pas conscience de sa judéité, qui ne sait pas ce qu'est l'antisémitisme ou un pogrom, et qui ne comprend rien à ce déferlement de violence.

Henni est un personnage impossible à oublier tant Angélique Villeneuve est parvenue à nous immerger dans son esprit, son corps, son ressenti. Comme dans un conte, elle va devoir affronter des épreuves : des rencontres parfois hostiles, la faim et la soif, une déchirante solitude, des décisions à prendre.
Son seul atout est la force de l'imaginaire qu'a une enfant de son âge pour contrer la barbarie et l'insoutenable réalité. Sa fuite est entrecoupée des souvenirs du passé proche, lorsqu'elle vivait en paix avec ses parents, son grand frère, sa grande soeur Zelda son modèle absolu, et les trois bébés dont le « sien », Avrom, dont elle est chargé de s'occuper. Autant de rappels de vie et de son amour pour sa famille qui la poussent à avancer.

« Ce à quoi elle croit dur comme fer, en revanche, c'est au père plongé dans ses livres de comptes. A la mère. Aux bébés aussi, elle y croit, et pourtant dans sa tête le mot ne se dit pas. Elle voit seulement leurs visages tour à tour apeurés et rieurs, elle sent leur odeur, la densité mobile de leur corps, l'avidité de leurs figures. Les bébés sont une colonie d'animaux vivant depuis toujours à l'intérieur d'elle ou bien d'émanation de ses propres organes. »

Le texte est tragique, très rude par les faits racontés, mais il est percé de lumière car Henni est une petite fille de lumière et de vie. La plume très sensorielle de l'autrice est éblouissante, virtuose même. Malgré tout ce que traverse Henni, plusieurs passages sont bouleversants de poésie comme lorsque la fillette a recours à un jeu avec ses doigts, chacun représentant un des membres de sa famille, neuf avec la grand-mère, plus le dixième qui se révélera lors de son parcours.

Une proposition littéraire d'une rare force.
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