Citations sur La vie critique (14)
Tu comprends, ma chérie, un critique n'est jamais en vacances, ni en été ni à noël, jamais.
Quatorze ans, c'était l'âge où il avait commencé à se demander comment faisaient les autres pour vivre, où il avait mesuré le temps et calculé qu'il aurait 37 ans en l'an 2000. Et puis voilà, on était déjà dix ans plus tard.
En revanche, ça n'existait pas les salauds qui se prenaient pour des salauds. Il n'y avait que du premier degré dans la saloperie.
La littérature, c'est comme la marine. L'une est marchande et l'autre est en guerre. (p.141)
...N'allait-il pas résister ? Non, pour l'instant, vaille que vaille, il continuait de bouquiner dans les grandes largeurs.
Il plongeait toujours sous les couvertures, il s'entortillait sans cesse dans le moletonné des phrases. (p.19)
Jamais il n'avai succombé à une si forte addiction: pire que le tabac, le sexe, l'alcool. Il sifflait des livres les uns après les autres, alternant gins forts et bibine, mais le plus souvent les mélangeant, en habitué qu'il était des cocktails littéraires, ingurgitant deux ou trois livres en même temps, polar et philo, roman et socio, la biographie d'un facho et un essai sur les impôts, des textes de Pinguet sur le Japon et un pamphlet du collectif Pièces et main-d'oeuvre sur la musique techno, une nouvelle traduction de William Blake et, en souffrant, le premier roman du comédien François Fini...(p.21)
Il était toujours considérablement frappé par ce que cette activité-là dégageait d'inactif, d'antisocial, de souffreteux. (...)
La lecture: moins un vice impuni, suivant la vieille formule, qu'un vice aujourd'hui passible de mort lente, il tournait les pages, et se tournait les pouces à en crever
Délire de lire pour se délier
Livres reliés, sans doute-mais à quoi ?
Et puis: lire, c'était aussi écrire en vain, signer petit à petit sa disparition au monde,
Lisant gisant.
Quelle drogue, en attendant ! (p.20)
L'ancienne dictature du savoir et des savants cédait le pas à la prétendue démocratie de l'ignorance et des ignorants, garantie sans goulag mon ami, sans violence ma petite fleur humaine, ma pâle pâquerette que je respecte, mon géranium en bouture sur son rond-point près de Casino, d'Habitat et de Toys'R'Us que j'inaugure, mais en revanche avec un dédain richissime pour ces vieux profs mal habillés, en chemises tergal boutonnées jusqu'au col et vagues sandalettes. A son tour Pierre Vidal-Naquet écrirait : " On est passé de la République des lettres à la non-république des médias."
Il songea à ce que Jean-Luc Godard expliquait dans une interview, à savoir que si le monde était juste, nous devrions payer des copyrights à la Grèce pour tout ce qu'elle avait inventé: la philosophie, la tragédie, la démocratie...
En somme, lorsque Michèle et lui s'aimaient, le XXème siècle n'avait pas encore passé la main.Ca ne tarderait pas. A la fin des années 70, on le sentait déjà usé, fatigué, un pied dans la tombe. Il avait été un grand siècle que son sucesseur jugerait très mal. Papa ! Il avait été une séquence pour grandes personnes très occupées alors que son successeur, naïf en ses débuts, plutôt mauve si on devait lui attribuer une couleur, apeuré par son ombre purpurine de siècle cardinal, était hanté depuis ses premiers jours par l'idée de sa mort. Siècle peuplé d'enfant rois, séculiers ou non, de pauvres pour les distraire, même de façon violente que le XXIème.