Un essai tonique et enlevé, irrévérencieux et discrètement érudit, sur la place de la critique littéraire – sous certaines formes spécifiques – dans la littérature d'aujourd'hui.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/04/05/note-de-lecture-
cantique-de-la-critique-arnaud-viviant/
Écrivain (auteur notamment de trois romans), journaliste et critique littéraire (sa présence dans l'émission le Masque et la Plume le dimanche soir étant peut-être la plus connue de ses interventions régulières),
Arnaud Viviant est quelqu'un avec qui je ne partage pas tous mes goûts en matière de lecture, mais sa passion et son honnêteté (qui n'exclut jamais la malice et le sens féroce de la formule) le rendent très souvent passionnant. En 2013 déjà, son beau «
La vie critique » interrogeait la manière dont se crée la passion pour l'écrit. Avec ce «
Cantique de la critique », publié en 2021 à La fabrique, il nous offre les conclusions d'une précieuse investigation personnelle dans ce qui constitue la critique littéraire en tant que telle, aujourd'hui, par rapport à hier et peut-être à demain.
Au fil des pages,
Arnaud Viviant mobilise avec brio les analyses directes et indirectes au service de son propos nuancé mais toujours alerte : on croisera ainsi
Albert Thibaudet,
Roland Barthes,
Marcel Proust,
Jean Paulhan,
Virginia Woolf,
Carlo Ginzburg, Étiemble,
Paul Valéry,
Maurice Nadeau,
Walter Benjamin,
Maurice Blanchot ou
Jacques Rancière, pour ne citer que quelques-uns des critiques de métier (qu'ils soient ou aient été par ailleurs écrivains d'autres formes littéraires) dont le travail rencontre ici certains échos précis.
Pour travailler en une vraie profondeur, sous des apparences de promenade concentrée, certains enjeux (ce qui différencie les chroniques fréquentes, quotidiennes ou hebdomadaires, des études critiques conduites dans la durée, la différence de fond entre critiques négatives, critiques positives et critiques cherchant à dégager ce qui vibre de spécifique dans une oeuvre donnée, le rôle spécifique et ambigu de la critique « de librairie », ou bien – on y reviendra – ce que représente le fait même d'être rémunéré pour critiquer), il n'hésite pas à user avec adresse à la fois de son réel éclectisme, de sa culture assez prodigieuse, et de sa capacité à alterner sans rupture de rythme tournures savantes et tournures populaires : critique à facettes, critique caméléone qui s'élabore aussi et peut-être surtout dans les frictions et les chocs du dissemblable – à l'écart de cette tendance lourde (pesante) de la littérature et de l'art en général qui réclame au premier chef du même, susceptible de satisfaire encore et encore les addictions molles et inoffensives.
En 170 pages, et pour tenir le pari secret de garder son érudition en ligne de fond discrète plutôt qu'en soutien direct d'argumentation, comme pour maintenir le rythme enlevé qui caractérise l'ouvrage, certaines positions sembleront rapides, voire injustes de temps à autre : il rôde ici par instants une forme de mépris voilé vis-à-vis des libraires, et surtout des blogueuses et blogueurs, non pas tant sur la question de leur qualité, mais sur celle de leur non-professionnalisme. Ce débat-là mériterait sans doute mieux et plus fin, à l'heure où tant d'influenceuses et d'influenceurs sont de facto rémunérés par le marketing éditorial (fût-ce sous la forme parfois allègrement absurde du « un livre en échange d'une critique »). Mais ces points sont mineurs, et ne sont de toute façon pas centraux pour ce «
Cantique de la critique » qui s'efforce avec ferveur, courage et talent de remettre en perspective cette lecture professionnelle un peu particulière, et l'oscillation de sa réception comme de sa production dans un monde littéraire qui bouge bien davantage que l'on ne veut s'en rendre compte parfois.
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