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Critique de Henri-l-oiseleur


Antoine Volodine, dans ce roman comme dans d'autres, utilise une imagerie venue de la science-fiction post apocalyptique, et des thèmes, comme celui de la réincarnation, qu'on peut trouver aussi en science-fiction (Kim Stanley Robinson, "Chroniques des années noires", par exemple). Ceci a pu induire certains lecteurs en erreur et les attirer vers ce livre dépourvu de toutes les facilités linéaires narratives et commerciales de la SF courante auxquelles ils sont habitués. Il est aussi ardu de lire Volodine que, mettons, Frank Herbert : encore, le sens de l'épopée rend les romans du second intéressants et accessibles. Ici, rien de tel : un univers désespérant, en train de se désagréger, la mort de l'espèce humaine dans les guerres, la misère, les génocides, et la fin de tout par pourrissement. Trois couleurs dans les paysages des "Songes de Mevlido" : le noir, le blanc agressif d'une énorme lune, et le gris. Des ambiances moites, la pluie, les ruines, la crasse, des assassins survivants ou leurs victimes rescapées, des mutants répugnants, des décombres partout (on songe au "Voyage d'Anna Blume" de Paul Auster). Les frontières entre la vie et la mort, entre l'humain et l'animal, entre le rêve et la veille, sont constamment piétinées ou brouillées. L'ordre chronologique du récit linéaire est bouleversé, sans que l'auteur prenne la peine d'encombrer son texte de repères pour le lecteur paresseux. En somme, une lecture pénible, ennuyeuse par moments, car tout semble se répéter et tout conspire à nous faire perdre nos marques.

"Frères sorcières" présentait la même imagerie, mais la drôlerie et l'humour noir rachetaient et allégeaient l'ensemble : ici, rien de tel ou presque. "Songes de Mevlido" est un roman douloureux, presque de bout en bout. La quête orphique de Mevlido, dans cette ambiance d'échec perpétuel, semble vouée, elle aussi, à l'échec. Reverra-t-il la femme perdue ? Le reverra-t-elle ? Se retrouveront-ils ? Cette histoire d'Orphée réécrite et développée sur 450 pages nous plonge dans la douleur de l'homme et dans son désarroi, sans nous lâcher une minute. Un Orphée diminué, traumatisé, oublieux de lui-même et de sa mission, doutant de sa raison, n'ayant que quelques rêves et souvenirs confus pour donner un sens à son existence. Mais comme dans l'histoire d'Orphée, de la douleur et de la perte émane une poésie étonnante, présente dans le style fort travaillé, dans les paysages d'angoisse (on revoit "Les Villes Tentaculaires" de Verhaeren), dans les errances infernales de Mevlido arpentant les rues vides comme Baudelaire les faubourgs misérables. Aussi, comme lecteur, j'accepte de me laisser surprendre, et même ennuyer par ce gros livre sans séduction, que je juge excellent bien qu'il ne m'ait pas plu. Le roman, d'ailleurs, contient sa propre critique et dit lui-même le mot de la fin : "On peut expliquer le désintérêt des lecteurs par l'abus des adjectifs et des néologismes dont Mingrelian (hétéronyme de l'auteur) truffe ses textes, ainsi que par les surcharges syntaxiques, par les collages baroques ou lyriques qui les rendent illisibles... Ils ont été perçus comme relevant d'une esthétique surannée et trop difficile à comprendre..." Et plus loin, le narrateur ajoute : "Nous aimons les livres de Mingrelian." (p. 408)
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