AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de 5Arabella


Ecrit en 1767, par un Voltaire de soixante-treize ans, édité en Suisse où il réside depuis 1760, l'Ingénu est souvent considéré comme le dernier grand conte philosophique de l'auteur, prenant la suite de Zadig, Micromégas, Candide.

Le personnage principal est un Huron, c'est à dire un Indien d'Amérique, qui suite à des pérégrinations invraisemblables se retrouve en France, où il est reconnu comme le neveu de l'abbé de Kerkabon. Sa liberté de ton, sa noblesse naturelle, séduisent la petite société bretonne et il s'engage dans un amour partagé avec la belle demoiselle Saint-Yves. Mais cette dernière n'envisage pas de lien en dehors du mariage, et celui-ci nécessite un baptême, une conversion au catholicisme de notre Huron qui serait plutôt déiste. Il y consent, mais Saint-Yves ayant été sa marraine, le mariage devient impossible, ou demande tout au moins une dispense. L'Ingénu (devenu Hercule depuis le baptême) veut monter à Paris pour obtenir la dite dispense, qu'il pense d'autant plus mériter, qu'il a défait des Anglais venu guerroyer sur les côtes bretonnes. Mais il se retrouve en prison à cause de sombres menées d'un jésuite. Saint-Yves va réussir à le délivrer, en cédant aux avances d'un ministre puissant. Cette action va tellement la plonger dans la culpabilité, qu'elle va en mourir.

Nous sommes dans un récit qui rappelle Les lettres persanes de Montesquieu : un étranger porte un regard sur la société française, sur ses moeurs et usages, de l'extérieur, avec une distance critique. Mais l'Ingénu est censé représenter un être élevé sans préjugés, en dehors des normes et règles d'une société structurée, un être de nature, qui pense de manière juste et droite. Cet observateur et ses réactions devant ce qu'il découvre, permet à Voltaire d'aborder un certain nombre de questions philosophiques qu'il considère comme importantes.

Une de ces questions est le rapport à la religion. Tout le monde souhaite convertir à tout prix l'Ingénue à la religion catholique, en dehors point de salut, ni de mariage. Notre Huron se perd un peu dans des différences entre courants du christianisme, est révulsé par les persécutions dont sont l'objet les Huguenots (le récit se passe peu après la révocation de l'édit De Nantes), il s'attache à un janséniste emprisonné. Tout cela pose les questions de la tolérance et du fanatisme religieux, illustrées par les souffrances infligées au nom de la religion. Voltaire se montre particulièrement féroce avec les Jésuites. le personnage principal oppose à tout cela sa religion naturelle, qui est une sorte de déisme rationaliste, Dieu est le créateur de la loi de la nature et se moque des rites et des différences dogmatiques, qui ne sont que des inventions des hommes, donnant à certains le pouvoir sur leurs congénères.

Voltaire fait aussi une critique politique, mettant en cause des emprisonnements arbitraires. Il questionne les corruptions diverses, et plaide pour une reconnaissance des mérites, de l'utilité, pour pour une mobilité sociale qui en serait la conséquence, au détriment des situations héritées, et met en cause la vénalité des charges, qui placent au pouvoir ceux qui peuvent les payer et qui en profitent pour en tirer un maximum d'argent ou d'avantages.

Mais en même temps, Voltaire dresse le portrait d'un Huron à qui le passage dans la société française profite aussi : il apprend à vivre en société, à se policer, à réfréner certains de ses élans pour tenir compte des autres. Pour Voltaire, la sociabilité est une valeur essentielle et il prend ici très clairement ses distances avec le mythe du « bon sauvage ». L'Ingénu résume à la fin du livre le meilleur des deux mondes, celui de la société « primitive » libre de préjuges et suivant la loi naturelle, mais aussi la sociabilité, le respect d'un certain nombre de règles propre à une société constituée.

Par rapport à ses contes philosophiques antérieurs, Voltaire introduit une tonalité sentimentale, en particulier dans la figure de mademoiselle de Saint-Yves. L'histoire d'amour entre elle et l'Ingénue n'a pas le caractère ironique et distancié qu'ont pu avoir les aventures amoureuses dans les contes plus anciens, la destinée de la jeune femme est tragique, ce qui donne une tonalité pathétique à la fin du roman. Même si Voltaire, par la bouche d'un de ses personnage affirme « à quelque chose malheur est bon », son habituelle ironie laisse le lecteur libre de le croire ou non.
Commenter  J’apprécie          232



Ont apprécié cette critique (23)voir plus




{* *}