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Critique de marielabrousse1


J'ai commencé cette lecture avec un a priori négatif. Il faut dire qu'on me l'avait vendue comme une utopie féministe qui tire pas mal vers l'essentialisme. On m'avait aussi dit que c'est long et lent et qu'il ne se passe pas grand-chose – sachant que le livre est un pavé de 600 pages, je m'attendais au pire.

Alors c'est effectivement long et lent, et le rythme est alourdi par certains choix narratifs que j'ai trouvés discutables : certaines scènes cruciales se déroulent en ellipse tandis qu'on s'étend longuement sur d'autres plus anecdotiques. Ces choix apparaissent comme voulus et délibérés de la part de l'autrice, bien que j'aie parfois du mal à comprendre ce qui les motive. Aussi, l'on est beaucoup plus dans l'introspection que dans l'action, ce que j'aime bien personnellement, mais qui pourrait totalement rebuter d'autres lecteur·ices.

Par contre, le worldbuilding est riche et vraiment plus nuancé que ce à quoi je m'attendais. Contexte : une catastrophe mondiale a rendu l'humanité presque infertile et a fortement déséquilibré le ratio filles/garçons des naissances. Plusieurs régimes politiques se sont succédé jusqu'à arriver à celui du roman, le Pays des Mères. Ce système, à bien des égards plus équilibré et apaisé que ceux qui l'ont précédé (y compris le nôtre), est toutefois rigide sur bien des aspects, à commencer par celui de la reproduction; mais a contrario, les personnes infertiles ou ménopausées peuvent mener une vie plutôt libre. Plusieurs tendances politiques animent le Pays des Mères, certaines très conservatrices, d'autres plus libérales : il en résulte un grand dynamisme politique, très intéressant à suivre.

À mon sens, classer ce roman dans les utopies ou dans les dystopies n'a pas vraiment de sens. On présente ici une société au fonctionnement radicalement différent du nôtre, attrayante par certains côtés et dysfonctionnelle sur d'autres (ça tombe bien, c'est exactement ce que j'aime en science-fiction).

L'histoire se concentre sur le personnage de Lisbeï, que l'on destine tout d'abord à devenir la Mère de sa communauté, jusqu'au jour où l'on constate son infertilité. Libérée de son devoir, elle entame des études dans une ville étrangère et fait une découverte archéologique qui pourrait remettre en cause certains dogmes du Pays des Mères. Il est très rare que je m'attache au personnage principal d'un roman, en particulier dans un contexte de coming of age, mais ici, j'ai beaucoup aimé son évolution tout en nuances.

La narration a la particularité d'utiliser le féminin générique : la forme féminine prédomine dans les accords grammaticaux, et de nombreux termes se sont féminisés avec le temps. Trente ans après la première parution du roman au Québec, le débat est beaucoup plus présent sur la scène publique, mais la lecture n'en reste pas moins déstabilisante (bien plus que je ne l'aurais cru, alors que j'ai pourtant étudié longtemps le sujet). Les nuances linguistiques diffèrent d'ailleurs d'une région à l'autre, comme le constate Lisbeï, ce qui donne lieu à un débat sur les incongruités de certaines évolutions de la langue. Bref, c'est un choix très judicieux qui ajoute encore de la richesse à un worldbuilding déjà solide.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur ce roman extrêmement riche thématiquement. C'est incontestablement un classique de la science-fiction québécoise et je n'exclue pas de le relire un jour malgré ses défauts et longueurs. D'ici là, j'ai bien l'intention d'aller lire d'autres romans d'Élisabeth Vonarburg.
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