AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Apoapo


Cet essai est désormais surtout un livre d'Histoire : l'histoire de la transformation, aux États-Unis d'Amérique, d'une politique de semi-protection sociale en une politique de pénalisation de la pauvreté à travers le levier policier, judiciaire et carcéral. Cette transformation, qui a eu pour antécédent le discours sur « la loi et l'ordre » de Richard Nixon lors de sa réelection en 1972, réaction aux luttes du Mouvement des droits civiques, et première énonciation de l'amalgame entre « aide sociale », assistanat et « criminalité », s'est développée dans sa forme contemporaine à partir de la « réforme du Welfare » en 1996, par Bill Clinton, en s'appropriant les éléments du discours néolibéral sur « l'insécurité ». L'essai date de 2004 : les formes et les effets du « nouveau gouvernement de l'insécurité sociale » y sont décrits et mesurés pour l'Amérique sur la décennie 90 et les premières années du nouveau millénaire, et l'auteur déplore, avec une stupéfaction qu'il espère encore réversible, l'exportation des concepts, des politiques, de certains actes législatifs et de plusieurs pratiques en Europe, et en particulier en France, par le lobbying d'entrepreneurs promus spécialistes tels Alain Bauer. Significativement, son ahurissement se déclare dès l'Avant-propos par le surgissement subit de la « geste sécuritaire », « théâtre bureaucratico-médiatique titillant » (p. 13) qu'il compare très opportunément à la pornographie. Cette histoire d'une politique pénale néolibérale, décennale et encore pleine d'imprévus, était conçue comme un « laboratoire vivant du futur néolibéral » : les néolibéraux eux-mêmes en étaient encore à se surprendre que le « Big Government », ogre dévorant les deniers publics, fût en passe de devenir le gigantesque business de la sécurité que nous connaissons aujourd'hui, bénéficiaire d'un simple déplacement de ressources presque identiques entre « aide sociale » (instruction, santé, logement, etc.) et « construction et gestion pénitentiaire » concernant quasiment la même population discriminée et racisée.
Et la France, allait-elle suivre cette « aberration carcérale » ? concevoir, elle aussi, la prison comme « aspirateur des scories sociales » ? Chirac, le président « supervoleur », exerçait encore la magistrature suprême, on s'indignait que Jospin adoptât un discours et mît en place des politiques si semblables à celles de Clinton... On commençait seulement à traduire le lexème « tolérance zéro » qui deviendrait bientôt célèbre dans la bouche de quelqu'un que l'on ignorait encore...
À cause de ce décalage chronologique, et de mon intérêt somme toute modéré pour les étapes précises et quantifiées de la criminalisation de la misère aux États-Unis, je n'ai principalement retenu de l'ouvrage que les apports théoriques, qui me semblent mieux exprimés dans mes citations que je n'aurais pu les résumer. Chacun se fera son opinion sur leur validité et actualité dans la France d'aujourd'hui, mais naturellement ces apports ne constituent que l'ossature de l'ouvrage et non son contenu principal.
Commenter  J’apprécie          90



Ont apprécié cette critique (7)voir plus




{* *}