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Critique de VACHARDTUAPIED


Après la saga polonaise du "Pentateuque ou les cinq livres d'Isaac" (L'Esprit des Péninsules, 2000), Angel Wagenstein fait ici revivre un autre univers englouti : le Plovdiv de la première moitié du vingtième siècle, une ville parmi les plus belles et les plus cosmopolites des Balkans.
À travers le personnage de Berto Cohen, Bulgare juif exilé en Israël qui retourne dans sa ville natale à l'occasion d'un colloque de byzantinologie, l'auteur fait ouvertement oeuvre autobiographique. Né et élevé dans cette cité «sans doute unique en son genre», il garde la plus vive tendresse pour ce microcosme où «la majeure partie des conversations, des criailleries, des jurons et des chansons, parvenait encore aux oreilles du promeneur égaré en ces ruelles dans cet étrange espagnol (ladino) dont nous avons déjà dit un mot. Mais les familles turques et bulgares ne manquaient pas non plus, et chacun parlait plus ou moins la langue de ses voisins : les petits Bulgares s'insultaient mutuellement en turc, et chaque vendredi soir, le cordonnier du quartier, le Turc Izmet saluait respectueusement ma grand-mère d'un Schabbat chalom !, tandis que les Juifs, à l'occasion d'une naissance ou d'un décès dans une famille musulmane du voisinage, faisaient porter un plat de feuilletés au fromage qui signaient leur origine d'un nom turc auquel s'accrochait la traîne d'une terminaison espagnole : burekas.»
Au gré des glissements entre présent et passé, le fil rouge d'une déchirante nostalgie se mêle à une ténébreuse histoire de spéculation immobilière, les amours enfantines avec la petite Arménienne Araxi Vartanian à l'actualité immédiate, la recherche du temps perdu au portrait sans concession de la Bulgarie contemporaine. Abraham le Poivrot donne aussi fort habilement à lire en filigrane le destin millénaire du peuple juif, depuis l'expulsion d'Espagne en 1492, qui fait l'objet d'un morceau de bravoure inaugural, jusqu'au conflit israélo-palestinien (la femme et les enfants du professeur Berto Cohen sont morts dans un attentat à Jaffa) en passant par la Shoah et le miraculeux sauvetage des Juifs bulgares durant la Seconde Guerre mondiale.
Le tout agrémenté d'un humour déjà familier aux lecteurs du Pentateuque ou les cinq livres d'Isaac. C'est ainsi que pour rendre compte de la diversité religieuse du petit monde perdu de son enfance, le narrateur raconte comment il reçut trois gifles successives du pope, du rabbin et du mollah, pour tenue inconvenante dans leurs temples divins respectifs.
Mais le roman est tout entier dominé par l'inoubliable figure grand-paternelle d'Abraham le Poivrot, maître ferblantier, ivrogne céleste et affabulateur de génie qui prétend successivement avoir arpenté les rivages de Galilée en compagnie du Christ, traversé les Alpes à dos d'éléphant en compagnie d'Hannibal ou coulé à lui seul toute la flotte turque pour le compte de Venise. Témoin privilégié du crépuscule qui s'étend peu à peu sur ce coin des Balkans avec les exils successifs des communautés tsigane, turque, arménienne et juive, il révélera aussi, avec l'aide d'un âne !, le sens de la vie au petit Berto. Aux yeux de ce dernier, les deux héros de Plovdiv sont d'ailleurs à part égale Philippe de Macédoine, fondateur de la cité, et son propre grand-père, Abraham dit «Le Poivrot».
Outre celui d'Albert Cohen (surnommé Berto), le lecteur français trouvera enfin dans Abraham le Poivrot un second nom familier, celui de Vartanian, le grand amour du narrateur. Abrégé en Vartan, c'est celui d'une autre native de Plovdiv qui fit carrière en France et chanta notamment la beauté de la rivière Maritsa, à laquelle Angel Wagenstein consacre lui aussi quelques-unes de ses plus belles pages.
Lien : http://www.bulgaria-france.n..
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