- Maman, dis... Tu l'aimes, papa ? Enfin je veux dire, tu l'as aimé ?
- Sers-moi le thé, Nour, tu veux... Tu sais, quand j'ai épousé ton père, je ne me suis pas posé la question de savoir si un jour je l'aimerais. C'était juste mon devoir. C'était ce qu'on attendait de moi. Pas le choix.
- Mais, tu t'es jamais demandé ce que tu voulais vraiment, toi ?
- Nour... Si je me pose cette question, ma vie n'a plus aucun sens.
- Mais, toute ta vie tu t'es effacée pour satisfaire la jouissance des hommes sur ta propre existence ! Pourquoi, maman ? On se fait manipuler, regarde à Londres, les femmes ne sont pas infantilisées comme ça, même les musulmanes conduisent et sont indépendantes ! Ils nous font croire que c'est la volonté de Dieu, mais ce n'est qu'interprétation erronée ! Dieu n'a jamais condamné les femmes à l'asservissement par les hommes !
- Nour, ma chérie, calme-toi, ne parle pas comme ça... Tu manques de respect...
- Non maman ! Ce sont eux qui ne nous respectent pas. Pourquoi tu dis rien ? C'est pas normal, le royaume est corrompu, l'islam a été détourné de son fondement par pur intérêt politique ! Et c'est sur nous, les femmes, que le pouvoir sévit, comme toujours.
[ jeune femme d'Arabie saoudite, fin des années 80 ]
Les obligations professionnelles de mon père nous ont amenés à partir vivre cinq ans à Londres. La vie là-bas est très différente. Le cinéma, la musique... Tout y est accessible et l'Etat encourage cela.
La mode se veut un pouvoir populaire. Chacun s'habille comme il le désire. Les hommes et les femmes vivent ensemble. Ces dernières peuvent travailler et se déplacer librement. Elles sont autonomes et indépendantes : nul besoin de tuteurs masculins pour garantir leur existence légale.
Tout cela tombe sous le sens à Londres. Mais pour moi ce n'était qu'une parenthèse.
- EH VOUS, LÀ, FEMMES !
[trois femmes voilées, bouche et nez visibles, se retournent, effrayées]
- Couvrez votre visage ! Quelle indécence ! Si vous ne savez pas vous couvrir, alors restez chez vous ! Vous n'avez pas honte ? Vous cherchez la provocation ?! Les femmes ne savent plus se tenir de nos jours ! Priez Dieu pour ne pas recroiser notre chemin ! Sinon, c'est moi qui vous apprendrai les bonnes manières !
La Mutawa (ou comité pour la vertu et la prévention du vice) est là pour assurer le respect des bonnes moeurs dans l'espace public. Bien sûr, ce que ses agents aiment plus que tout, c'est réprimander les femmes sur leur tenue non conforme aux codes vestimentaires du pays. La vérité c'est qu'ils sont là pour nous humilier, nous rappeler que nous ne sommes rien. Ils sont là pour nous faire peur et décourager toute tentative d'émancipation. Mais malgré ça, il faut trouver la force de se battre encore et encore.
Au volant d'une voiture, j'aurais pu choisir quelle route emprunter.
J'aurais pu me tromper, me perdre et faire marche arrière.
Mais au moins, à chaque intersection, j'aurais pu faire mon propre choix.
J'aime plus que tout mon pays. Ma vie est ici. Mais aujourd'hui pour la première fois, j'ai peur. A trop vouloir me rassurer, je m'étais mentie. Rien ne sera jamais comme avant. Personne ne se regarde, personne ne se parle. Je sens la liberté me quitter pour de bon. Londres m'a oubliée.
Un brouhaha de vie. Toute l’énergie de cette assemblée réveillait en moi la fièvre de la révolte. Je me sentais de nouveau forte et capable"
Mon père a mal vécu mon occidentalisation. En réalité , il n'a pas supporté que je lui tienne tête. Ses grands discours éloquents s’essoufflaient, je n'y voyais plus que contrainte et manipulation. En Arabie Saoudite, il semblait aberrant qu'une fille fasse ses propres choix, mais à Londres, la liberté s'offrait à moi, et en toute légitimité. Je me sentais vivante plus que jamais.
Dans les femmes, la manière de se conduire n'a guère moins de part à leur réputation, que leur conduite même.
Fuir en Occident, c’est oublier d’où tu viens, tes racines. Nous devons œuvrer ensemble et ici, en Arabie Saoudite, pour gagner notre liberté. Si nous fuyons toutes, qui se battra pour nos droits ? Nous avons le devoir de nous battre pour nos filles, pour nos sœurs. Mais si on n’a aucun moyen… c’est comme se condamner à une vie de soumission
Rien ne sera jamais plus comme avant. Personne ne se regarde, personne n’ose se parler. Je sens la liberté me quitter pour de bon. Londres m’a déjà oubliée. Sous mon abaya, je me cache et disparais.