Audry regarda les cavaliers et sauta en selle d’un geste souple pour rejoindre ses frères. Il avait atteint son but, en partie au moins. Car l’autre consistait à devenir invincible et à éradiquer la race des Rougy de la surface de la terre. Il repensa à la fille aux yeux verts. Des yeux qu’il n’était pas près d’oublier. Il aurait sa vengeance. Comme le serpent, il se tapirait dans l’ombre, se ferait oublier un certain temps et lorsque l’occasion lui serait donnée, ses crocs s’abattraient sans pitié dans la chair de l’ennemi. Adelys de Rougy. Ce nom était désormais inscrit au fer rouge dans l’âme sombre du Cobra noir.
— Audry, que fais-tu ? demanda le comte de Tonnerre. — C’est la fille de Rougy, j’ai été fouetté à cause d’elle. — Laisse. Rougy est mort, c’est tout ce qui compte. — Prie pour que nos chemins ne se croisent jamais, laissa planer Audry. Parce que ce jour-là, tu regretteras de ne pas être morte. Adelys se remit debout péniblement, sans pour autant baisser les yeux malgré sa peur évidente.
— Je ne cherche pas à vous humilier, Flamine, mais à comprendre ce qu’il y a derrière ces yeux bleus comme la mer. Et le mystère de cette crinière de feu m’intrigue. Aucune des femmes d’Orient ne peut se targuer de porter des flammes en guise de chevelure, fit-il en glissant les mains dans ses longues boucles. — Vous n’avez pas le droit de me toucher comme cela, messire. Je ne suis pas encore vôtre. — En effet, Flamine, répondit-il en approchant son visage du sien. Si c’était le cas, vous le sauriez au plus profond de vous-même.
— Allez au diable ! Je ne vous autorise pas à… Une main d’acier lui saisit le poignet et l’immobilisa. — Dans mon pays, madame, un homme peut faire battre une femme pour moins que cela. — Vous n’êtes pas à Damas que je sache, mais sur mes terres. — Et tant mieux pour vous, croyez-moi, ajouta-t-il sans la lâcher pour autant. J’ai raccompagné les villageois ici, sans vous en parler, car je n’ai pas à le faire. Votre frère est revenu et Joigny a de nouveau un comte. Vous pouvez retourner à vos occupations de dame. N’avez-vous pas une tapisserie qui se languit de vous.
— Il semblerait que vous me deviez deux fois des excuses, demoiselle. Il se tenait les bras croisés, campé sur ses deux jambes et sûr de son droit. Flamine sentit un étau se refermer autour d’elle. Qui étaient ces hommes venus d’Orient ? Pourquoi escortaient-ils Thomas ? Pourquoi le regard de cet homme la faisait-il se sentir si petite ? — Étant donné que j’ai eu une peur bleue en vous voyant au travers de mon chemin, nous dirons que nous sommes quittes, rétorqua-t-elle en relevant le menton. — Une drôle de façon de faire les calculs. Vous avez effrayé mon cheval, vous m’avez frappé à la jambe et vous m’avez ouvertement manqué de respect. — Et vous, vous m’avez fait peur ! l’accusa-t-elle pour se défendre de cet odieux personnage. — Ce qui fait toujours trois contre un, d’où les doubles excuses attendues. — Je n’ai pas l’habitude de présenter des excuses et encore moins sur mes terres, en présence d’étrangers. — Tout s’apprend, ma chère, même les chrétiennes aux cheveux roux peuvent apprendre l’obéissance et l’humilité, reprit Karim en la dominant de toute sa taille. Elle sentit son cœur battre la chamade. Cet homme avait sur elle une drôle d’influence. Elle n’était pas si agressive d’ordinaire. Pourquoi se sentait-elle menacée ? — Thomas, le laisseras-tu me parler sur ce ton ? jeta-t-elle, sûre que son frère interviendrait en sa faveur. Elle leva un sourcil et toisa le cavalier avec une certaine insolence, attendant que son frère le remette à sa place. — Et davantage, moineau. Messire Karim est ton fiancé. Une chape de plomb tomba sur les épaules de Flamine qui ouvrit la bouche comme un poisson hors de l’eau.