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Critique de Apoapo


Lorsque j'étais ado, je me régalais de l'humour de la série télé américaine "La Famille Addams". Son principe comique résidait dans le renversement symétrique des stéréotypes des valeurs familiales américaines (des années 30, ai-je appris ensuite), remplacés par leur exact opposé. Ainsi de la scène irrésistible où la maîtresse de maison coupe soigneusement les boutons pour ne laisser que les épines et les feuilles des roses dont son mari lui a offert un bouquet. A y repenser à l'âge adulte, il y a là, au niveau des symboles, de quoi faire une conférence de sémiologie digne d'Umberto Eco...
Cet ouvrage de 1983, auquel la typographie et la couverture, sans parler du style et de certaines références à l'Empire austro-hongrois, donnent un aspect encore plus vieux et suranné, utilise exactement le même procédé humoristique, en parodiant les best sellers de psychologie appliquée qui commencent à paraître à cette époque-là, riches de conseils pratiques sur "Comment être heureux", agrémentés même pour certains d'exercices progressifs...

"Certes, le nombre de ceux qui paraissent naturellement dotés du talent de fabriquer leur enfer personnel peut passer pour relativement élevé. Mais plus nombreux encore sont ceux qui, à cet égard, ont besoin d'aide et d'encouragement : c'est à eux que ce petit livre est dédié, dans l'espoir qu'il guidera leurs premiers pas après les avoir initiés." (p. 12)

Guidés par le fil rouge (titre de l'édition anglaise originale) que "la situation est désespérée mais non sérieuse", nous rions de cette quête du malheur, mais le rire se fait jaune dès lors que le doute s'insinue de notre identification probable dans une multitude de comportements et de ressentis qui caractérisent notre propre quotidien... Jugez-en vous-mêmes :
"Qu'on ose alors remettre en question mon statut de sacrifié ! Qu'on ose même me demander de remédier à mon malheur ! Ce qui fut infligé par Dieu, par le monde, le destin, la nature, les chromosomes et les hormones, la société, les parents, la police, les maîtres, les médecins, les patrons et, pis que tout, par les amis, est si injuste et cause une telle douleur qu'insinuer seulement que je pourrais peut-être y faire quelque chose, c'est ajouter l'insulte à l'outrage. Sans compter que ce n'est pas une démarche scientifique, non mais !" (p. 25)
Vous ne vous êtes donc pas reconnus dans cette ordinaire dose de paranoïa ? Ne nous sommes-nous jamais nui lorsque la main gauche ignorait ce que faisait la droite ; ni réjoui de la douleur d'un désagrément prévu : "Je l'avais bien dit !" ; ni morfondu dans l'impératif contradictoire : "Sois spontané !" ; ni persécuté par le doute : "Pourquoi m'aimerait-on ?" ; ni n'avons exigé de la personne aimée qu'elle partage absolument nos goûts ? Bon, j'ai compris. Celui qui est prêt à lancer la première pierre sera sans doute un altruiste, de ceux qui savent que "leur idéal élevé [...] contient en [lui]-même sa propre récompense". Eh bien en voilà pour toi, le moi-altruiste :
"Cette bonne action n'était-elle pas un dépôt de fonds sur mon compte personnel en paradis ? Ne visait-elle pas à en mettre plein la vue à des tiers ? Voulais-je me faire admirer ? Contraindre quelqu'un à la gratitude envers moi, en faire, comme on dit si bien, mon "obligé" ? Ne cherchais-je pas plus simplement à atténuer quelque sentiment de culpabilité ? Il n'existe manifestement pas de limites au pouvoir de la pensée négative, il suffit de chercher pour trouver. " (p. 97-98)

Ces extraits ainsi que cette conclusion édifiante suffisent sans aucun doute à donner le ton et la saveur de l'ouvrage. Mais la facétie qu'il me permet me justifie dans l'ajout d'une toute dernière citation, et ce pour deux raisons : 1. pour ne pas éluder le côté social et politique de l'ouvrage (en effet on pourrait croire à une parodie tournée uniquement sur l'individualisme des manuels psychologiques en question) ; 2. en guise de private joke avec l'ami Laudateur (qu'on me le pardonne au nom de l'altruisme !) et plus particulièrement en relation avec notre échange d'hier sur Ivan Illich, dans lequel Paul Watzlawick donne inconditionnellement raison à Illich et à Laudateur - donc tort à moi-même, me causant ce juste malheur que je m'inflige ici publiquement et volontairement, puisqu'il est si bien approprié au thème de cette lecture...
"Ce que les directeurs de zoo pratiquent dans leur modeste domaine, les gouvernants modernes tentent de l'accomplir à l'échelle nationale : confits dans la sécurité, il faut que les citoyens mènent une existence dégoulinante de bonheur du berceau jusqu'à la tombe. Pour atteindre ce noble objectif, il faut, entre autres choses, entreprendre et mener sans relâche l'éducation du public pour lui permettre d'accéder à des niveaux toujours plus élevés d'incompétence sociale. Il ne faut donc pas s'étonner de voir l'accroissement vertigineux des sommes consacrées dans le monde à la santé publique et aux diverses entreprises à caractère social." (p. 12)

Comme aurait pu le dire un peu célèbre soldat austro-hongrois homosexuel un vilain jour de 1529 : "L'empalement est un petit jeu dans lequel ça fait du bien d'avoir mal, au moins au début..." (ça, c'est de moi, vous ne le trouverez pas dans le bouquin de Watzlawick ; mais c'est tout comme...)
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