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Critique de Yaena


Un haut gradé Nazi s'indigne d'avoir prononcé un discours alors que Mendelssohn est sur le toit, enfin une statue le représentant. Vite réparons l'outrage et mettons à bas la statue ! Simplissime ? Mais encore faut-il pouvoir l'identifier ce fameux Mendelssohn. Facile, c'est celui avec un « nez de juif » évidemment ah zut la statue au gros pif est celle de Wagner illustre compositeur allemand et aryen. C'est sur cette scène grotesque que s'ouvre le livre de Jiri WEIL. A sa façon de ridiculiser les nazis, de caricaturer leurs ordres vociférés et leur brutalité dissimulant gauchement leur ignorance sous-jacente j'ai tout de suite pensé à Charlie CHAPLIN singeant Hitler. le sérieux avec lequel est menée la démarche tranche avec le grotesque et l'absurdité de la situation.

Le ton est donné Jiri WEIL a décidé de nous parler de la seconde guerre mondiale sous un angle différent. Car avant les camps, avant l'horreur poussée à son paroxysme, il y a d'autres humiliations, d'autres tortures physiques et morales, d'autres injustices qui préparent minutieusement les étapes suivantes et qui jalonnent le quotidien de millions d'habitants qu'on appelle les occupés. Des étapes destinées à briser les Hommes leur enlever tout, les priver de leur dignité, les préparer à la mort, instiller dans leurs âmes le poison de la résignation. Faire taire tout espoir et toute rébellion.

L'auteur a réussi à rendre l'ambiance, les contradictions et l'absurdité de ce système par une structure narrative très fluide et une construction de son récit morcelée mais précise où chaque détail a son importance. Orfèvrerie de précision où chaque pièce fini par trouver sa place et à donner au récit toute sa cohérence et sa profondeur.
Rudolf, Jan, Greta, Adela, Rabinovic, Richard, Schlesinger, Heydrich, autant de destins qui se croisent dans la banalité et l'horreur de la guerre. Simple grattes papiers de la commune, nazis convaincus, résistants par évidence presque par accident, témoins horrifiés et tétanisés,… comme au théâtre chacun a son rôle à jouer.

Orchestré par WEIL ce théâtre de l'Histoire met en exergue le rôle de l'administration de l'occupant nazi, froide et redoutablement organisée. Implacable dans la mise en oeuvre de la solution finale. Tellement jusqu'auboutiste qu'elle en devient grotesque. La plume se fait alors froide et aseptisée, le discours très structuré et rien ne dépasse. WEIL retranscrit avec panache l'aveuglement causé par la haine et l'abrutissement qui en découle. Des individus tellement convaincus de leur supériorité, tellement gorgés de suffisance que tel le corbeau de la fable ils en deviennent idiots ; ce qui a d'ailleurs fortement contribué à leur perte.

Les passages de ce type alternent avec les récits de personnages attachants. Des personnages en lutte, en souffrance, en détresse, qui font preuve de courage, de lâcheté, d'humanité. Des personnages guidés par l'instinct de survie, leur conscience, l'amour, la peur, le devoir. La plume de WEIL varie alors avec virtuosité et fluidité et nous offre de très beaux passages mélancoliques, poétiques, tantôt empreints de courage tantôt empreints de désespoir.
La symbolique des statues traverse le récit comme un fil rouge. Une vision intéressante et surprenante qui ponctue ce monde sombre d'une touche de poésie, d'originalité et de références culturelles.

Au-delà du sens premier de l'histoire toute une symbolique et toute une philosophie est ancrée dans les mots et délivre un message d'humanité en filigrane. Il y a beaucoup de subtilité et d'esprit dans la plume de WEIL qui est résolument vivante et combattive.
Mendelssohn est sur le toit n'a été publié qu'en 1960, 1 an après la mort de son auteur car le livre ne passait pas la censure. On lui reprochait de ne pas mettre assez en avant les résistants communistes. Il fut finalement publié mais un passage ne passa pas la censure, il est repris à la fin du livre et après l'avoir lu je trouve vraiment dommage d'avoir voulu le faire disparaître.

Pendant des années Vivre avec une étoile et Mendelssohn est sur le toit ont été introuvables car non réédités. Je les ai cherchés longtemps avant de les trouver par hasard en même temps ! C'est une perte inestimable de ne pas permettre la lecture de ces livres car Jiri WEIL donne une vision particulière de cette période de l'Histoire et donne une voix au peuple tchèque. Prochainement Mendelssohn est sur le toit sera réédité, j'espère que Vivre avec une étoile connaîtra le même destin car ces livres sont vraiment des chefs d'oeuvres méconnus dont l'intérêt historique et littéraire me semble indéniable.

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