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Critique de capillo


Vous qui me suivez peut-être commencez à comprendre mon intérêt pour cette période de l'histoire qu'est la seconde Guerre mondiale, et plus particulièrement ce qui concerne la Shoah. Une "fascination", pour ce que ce mot signifie, que d'aucuns trouveront morbide, quand il s'agit d'essayer de cerner un processus qui défie l'entendement et honorer la mémoire des survivants et de ceux dont la parole a été interdite pour toujours.
Le récit de Joseph Weismann en est un parmi d'autres, que l'on peut espérer nombreux, parce que raconter une même histoire, des mêmes faits, contribue à renforcer la véracité d'un événement qui fait encore aujourd'hui l'objet de révisionnisme, et que cette seule parole, multiple, restera.
Le récit de Joseph Weismann est à ce titre exemplaire : exemplaire dans le sens où son histoire se conçoit comme personnelle, c'est un exemple de la formidable chance qu'ont pu avoir ceux qui ont échappé, d'une manière ou d'une autre, à la barbarie nazie ; exemplaire, dans le sens également où son parcours embrasse à peu près toute l'histoire inhérente à la Shoah.
Dans son épilogue, "Témoigner", Weismann résume la bascule ainsi : c'est l'histoire d'un garçon comme un autre, Titi parisien qui va à l'école, joue avec ses copains, aime et est aimé de sa famille, profite de la vie, " jusqu'à ce que... " Cette dernière ponctuation seule convoque une émotion intense, parce qu'elle englobe toutes les pages précédentes écrites de larmes, de sang, mais surtout de vie, LA vie de l'auteur qui ne pourra jamais faire l'impasse sur ce qu'il a vécu.
La rafle, le Vel d'Hiv, Beaune-la-Rolande, la déportation des adultes, son évasion avec Jo Kogan, son retour à Paris, son errance entre orphelinat, familles d'accueil bienveillantes ou tout le contraire, placements divers dans une France rurale dans sa pluralité de positionnement, un errance et des épreuves que Joseph ne traversera que grâce à l'espoir chevillé au corps de revoir ses parents, ses soeurs, un jour, et de recevoir à nouveau l'amour de ses proches.
Car ce qui suinte de ce récit, ce qui manque plus que tout à cet enfant jeté littéralement dans la nature, c'est l'amour, être aimé, et derrière cela, son enfance. Avec le recul, Weismann est conscient d'avoir été privé de sa jeunesse, et que sa construction en tant qu'homme, qu'individu français, s'est faite sur un terreau nauséeux, bien qu'il explique que de chaque étape il aura su tirer le moindre bénéfice.
La suite du récit, après la guerre, jusqu'à l'édition du livre en 2010, est encore plus passionnante : l'administration française qui nie son calvaire pour ne pas avoir assez souffert, qui lui refuse dans un premier temps la nationalité, qui tente d'effacer les traces de son implication et sa collaboration dans le traitement des Juifs de France, et cette France, ce monde même, peut-être minoritaire, qui prolonge la souffrance de tout un peuple, mais d'abord de Joseph lui-même, en pratiquant encore la stigmatisation.
Le portrait qu'il dresse de la société, d'une manière générale, laisse peu de place à l'espoir. Cette anecdote d'un couple ouvrant une cannette de coca sur le site d'Auschwitz est révélateur de la légèreté avec laquelle la Shoah peut être vue. Et sil met autant d'énergie à témoigner, sur le conseil de Simone Veil, au-delà du simple fait historique en continuant jusqu'à aujourd'hui, c'est aussi parce qu'il sent, latente, une menace que seuls son récit, et celui de tant d'autres, peuvent encore freiner, sinon éteindre.
Avec un grand sens narratif, qui ne sent pas du tout le "calcul", et une écriture simple, fluide, naturelle, qui en de nombreux points soulèvera une émotion rare à la lecture, Joseph Weismann livre un témoignage poignant, précieux, qui aura inspiré le film La Rafle (une grande déception qui souffre d'un casting de " stars", et d'une utilisation forcenée de l'image d'Épinal).
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