L’opposition aussi peut faire partie de la société majoritaire. C’est d’ailleurs une règle générale dans les démocraties modernes. Les sociétés modernes ont besoin de sous-cultures critiques : elles ouvrent la voie aux changements, elles canalisent les frustrations, elles modernisent en arrangeant des zones tampons. C’est toujours problématique pour les groupes qui se rebellent de manière non violente contre les rapports existants. La capacité d’adaptation si élastique des sociétés de marché modernes est tout à fait en mesure de les « mainstreamer », c’est ce qui est arrivé au mouvement punk, et c’est ce qui est arrivé au mouvement écologiste. Et il n’y a rien à y opposer, tant que l’on est conscient d’intégrer de cette manière la société normale et qu’on ne la critique pas « de l’extérieur », mais qu’on y contribue. Si, cependant, cette conscience se perd, ou même si elle n’a jamais existé, c’est qu’on se trompe sur soi-même et qu’on croit être « contre », alors qu’en réalité on n’a fait qu’endosser le rôle de l’opposition, et du coup on est même complètement pour. En ce sens, les membres de l’élite fonctionnelle par exemple, qui adoptent un mode de vie exigeant mais sensible à l’écologie, conduisent une hybride, vivent dans une maison passive et votent vert, contribuent bien plus à la satisfaction intérieure de la société que le manager exigeant dans le genre de Jürgen Grossmann ou de Josef Ackerman, qui sont aujourd’hui passés de mode.
Nul besoin de Gestapo ni de Tchéka : à l’ère de Google et de Facebook, chaque internaute livre délibérément toutes les informations nécessaires sur lui, sans que personne ne l’y force.
Il se pourrait bien que le totalitarisme d’aujourd’hui se manifeste justement sous les traits de la liberté : pouvoir, à tout instant, avoir et être tout ce que l’on croit vouloir avoir et être. Il n’existe qu’un seul système de régulation qui limite cette liberté : le marché.
Il ne faut pas nécessairement tout vouloir simplement parce que l’on peut tout avoir.