« le chagrin n'est pas, ainsi que les jeunes le croient, de la pure mélancolie. C'est comme de vivre dans une ville tropicale, ou au coeur du désert. La peau se déshydrate et la gorge se dessèche ; l'eau et le vin sont tièdes au palais et la nourriture a la consistance du sable ; la compagnie des autres est insupportable ; les pensées, tels des moustiques, tourmentent le sommeil. »
C'est effectivement le chagrin qui baigne Jenny, la cousine de Chris. C'est aussi le chagrin qui atteint Kitty, l'épouse de Chris.
Celui-ci, parti combattre dans les Flandres au début de la guerre, est revenu en 1916, atteint d'un « coup », blessé par une amnésie profonde. Il ne se souvient plus de rien, ou du moins plus de son passé récent : son mariage avec la scintillante et superficielle Kitty, son enfant, mort à 2 ans, sa belle et riche maison dans la campagne anglaise protégée par un jardin cocon.
Par contre, le passé prend toute la place dans son coeur et il réclame Margaret, son amour d'il y a quinze ans.
La confrontation entre ces quatre adultes - même si un des trois en est resté au stade de tout jeune adulte – est décrite avec plein de justesse et de délicatesse par Jenny, la narratrice. Celle-ci décortique les sentiments éprouvés de manière quasi chirurgicale, et rien n'est laissé au hasard.
La nature, omniprésente, joue un rôle essentiel dans la description des états d'âme.
Quand les racines d'un être sont touchées, quand celui-ci risque de perdre sa dignité aux yeux de la société mais que malgré tout, il est heureux, comment faut-il agir ?
Qu'est-ce que l'amour ? Rechercher à tout prix le bonheur de l'autre ou essayer de s'accomplir soi-même dans la relation amoureuse ?
Qu'est-ce que le poids d'une maison décorée avec goût, confortable, douillette, face au vide d'un coeur anéanti ?
Faut-il guérir à tout prix un homme quitte à le renvoyer dans l'enfer des tranchées ?
«
le retour du soldat », c'est tout cela à la fois. Un long monologue mêlant sentiments, réflexions, description de la nature.
Après un début très lent où, franchement, je ne voyais pas bien à quoi l'auteure voulait en venir, j'ai commencé à m'intéresser à ce déroulement méthodique de la pensée de la narratrice.
Rebecca West a écrit ce roman très court en 1918, le style est donc à l'image de la façon d'écrire de cette époque : un peu ampoulé, assez précieux, mais laissant au final éclater toute la force du propos. Je ne connaissais pas cette auteure, je ne vous en parlerai pas, Kielosa l'a fait de façon détaillée dans sa critique enthousiaste.
Lent apprivoisement des choses. Jardin. Amour. Regards. Sensibilité. Cérébralité. Profondeur. «
le retour du soldat » caresse les apparences pour ensuite plonger dans les abîmes du coeur.