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Critique de JIEMDE


Être surpris et emmené là où je ne l'attend pas par un auteur fait partie de mes petits plaisirs de lecteur. Certes, ça peut parfois rater et j'en connais plus d'un qui a regretté son excursion transgenre littéraire. Mais c'est passé haut la main avec Harlem Shuffle de Colson Whitehead, traduit par Charles Recoursé.

En toile de fond, on retrouve la même thématique qui lui a valu ses deux Pulitzer : les luttes raciales pour les droits civiques et humains des populations noires dans l'Amérique du siècle d'avant. Mais là où l'approche était frontale dans les précédents, Whitehead l'insère dans une trame polardo-noire qui fonctionne à merveille.

Dans le Harlem des années 60, Raymond Carney n'a pas suivi l'atavisme familial en devenant après son père, une figure de la pègre locale. Sa préoccupation majeure est de développer toujours davantage son magasin de meubles et d'élever socialement sa petite famille composée de sa femme Elisabeth et de leur fille May.

Jusqu'à ce que son cousin Freddie lui propose de participer au braquage d'un des grands hôtels de Harlem, un coup sûr et peu risqué, qui permettra à Ray d'accélérer le rythme de son plan de vie. Mais rien ne va se passer comme prévu et, comme toujours, les petites causes produiront de grands effets…

Si cette intrigue polardesque s'étirant en trois grandes parties de 1959 à 1964 fonctionne plutôt bien – lente, classique, sans artifice inutile – et met en scène des personnages plus hauts en couleurs les uns que les autres - Pepper, Chinck Montague, Miami Joe… - le personnage principal du roman n'est autre que Harlem lui-même.

Colson nous plonge dans une exploration immersive de ce quartier dont le Parc et Riverside Drive forment une frontière invisible avec Manhattan, séparant symboliquement mais clairement, deux mondes et deux races.

« C'est cela New-York, parfois : on tourne à un carrefour et on débouche dans une tout autre ville, comme par magie ».

Mais Whitehead n'est pas là non plus pour jouer les guides touristiques, et Harlem n'est le personnage central de son intrigue que pour mieux en révéler le rôle central, poumon névralgique des luttes égalitaires de l'époque.

Luttes raciales bien sûr, intensifiées par l'assassinat – déjà – entre la 70e et la 80e, du jeune noir James Powell par un lieutenant de police en civil, sans sommation. Luttes portées par la NAACP, les Freedom Riders, les Black Muslims et plus largement par toute une génération qui s'élève par la prise de conscience et la lutte active, livre de Baldwin sous le bras.

Luttes sociales aussi, à l'image des espoirs de Ray rêvant de voir un jour ses meubles intégrer les salons des blancs huppés de Manhattan, cherchant à devenir membre du Dumas Club, antichambre a priori indispensable de la relation blancs-noirs pour étendre son territoire social et commercial plus au sud.

« Ce n'était pas une Nouvelle Frontière d'abondance infinie qui s'offrait à lui – elle était réservée aux Blancs -, mais tout de même, un nouveau territoire s'étendant au moins sur quelques rues ; or à Harlem, quelques rues, c'était tout un monde. Quelques rues, c'était ce qui différenciait les travailleurs et les escrocs, les chances à saisir et les luttes acharnées ».

Vous l'aurez compris, Harlem Schuffle est un livre particulièrement réussi grâce au talent de son auteur qui ne faillit jamais dans le parfait équilibre trouvé entre roman d'ambiance, trame noire et contenu historique et engagé.

D'autant que le style de Whitehead s'adapte parfaitement à cet équilibre, évoluant selon les thématiques, y compris dans une dimension gouailleuse digne des grands classiques lorsqu'il trempe dans la description de la pègre locale : « On n'avait jamais vu un truand élever des poules. Une arrogance pareille, c'était supplier le Seigneur de vous en coller une ».

Un dernier mot pour évoquer la « dorveille », « cette prairie au coeur de la nuit », concept du temps d'avant l'électricité où l'on dormait en deux temps, avec une phase de réveil et d'activité autour de minuit avant de se rendormir, qui réussira si bien à Carney.

« Un répit à l'écart du monde et de ses exigences », qui forcément me parle…
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