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sur 466 notes
Lorsqu'on fait connaissance du personnage principal en 1959, Carney est propriétaire d'un magasin de meubles à Harlem sur la 125ème. Fils d'une figure de la pègre locale, c'est un bon père de famille, un mari aimant, un travailleur opiniâtre ... qui mène une double vie, un peu comme le Walter White de Breaking Bad. Son magasin fait office de « fourgue » pour les objets volés que lui apportent les truands du coin. le grand plaisir de l'intrigue consiste à découvrir dans quels sales draps il s'est fourré - souvent à cause de son cousin Freddie, le quasi frère - et comment il parvient à s'en sortir.

« Nous avons tous des recoins secrets et des ruelles inaccessibles aux autres – l'important, ce sont nos grandes artères, nos boulevards, ce qui apparait sur les cartes que les autres ont de nous. »

Le roman est structuré en trois parties chronologiques, une tragi-comédie en trois actes chacune culminant avec une activité criminelle précise : 1959 ou la facilité de tomber dans le crime ( un braquage ) à causes de circonstances, de son entourage, de son hérédité, de ses rêves d'ascension sociale ; 1961 ou la poursuite de l'activité criminelle sous l'influence d'une vengeance implacable à la Monte-Cristo ; 1964 ou l'heure de choix lorsqu'une situation inédite et dangereuse ( l'affrontement avec un patriarche blanc richissime après un casse ) risque de détruire tout ce qu'il a bâti pour s'élever socialement.

Chaque partie est quasi un roman à part entière, mais est meilleure prise dans l'ensemble des trois car chacune résonne des autres et trace la trajectoire cohérente d'un Afro-Américain à l'ambition affichée, tiraillé entre sa face clandestine sombre ( là d'où il vient, de par son père ) et sa respectable façade publique ( là où il veut aller, ancré par son épouse stabilisatrice Elizabeth ), représenté par la magnifique métaphore de la « dorveille » ou sommeil fragmenté en plusieurs phases ou l'heure du crime. Sang froid à l'extérieur, rempli de doutes et de dilemmes à l'intérieur, vision du monde pimenté d'humour noir, un personnage complexe et riche qu'on adore suivre !

Harlem Shuffle est sans doute le roman le moins sombre du génial Colson Whitehead. Son charme immédiatement délectable naît de dialogues drôles et savoureux mettant en scène des personnages souvent loufoques et irrésistibles comme Miami Joe et son costard violet qui claque, et surtout Pepper, le porte-flingue zen et brutal, qu'on imagine avec la dégaine d'un Samuel L.Jackson. Les mots croustillent sous nos pupilles, on se régale, on pense à Chester Himes, souvent.

D'autant plus que l'auteur nous immerge dans le New-York du début des années 60 avec toutes ses nuances topographiques, fort du brio de son observation. C'est tout Harlem qui nous est conté avec une verve et une énergie totalement immersive. Un Harlem vivant, celui de l'avant gentrification, entre tripots miteux et club d'élite pour notables noirs, peuplé de flics ripoux, de voyous, de prostituées et de dealers.

Si Carney n'affiche aucune conscience politique, juste animé par son désir très pragmatique d'ascension sociale, le roman possède tout un arrière-plan socio-politique majeur, notamment dans la partie 1964 qui prend comme décor historique les émeutes raciales du 16 au 22 juillet déclenchées par la mort d'un ado afro-américain, Teen James Powell, abattu par un lieutenant de police blanc, Thomas Gilligan.

Les dernières pages sont superbes, mélancoliques et puissantes, sur le temps qui passe pour les personnages comme pour la ville, alors que des blocs entiers de Downtown où Carney avait l'habitude de descendre sont rasés pour y construire le futur World Trade Center.

«  Ça avait quelque chose d'irréel de voir sa ville sens dessus dessous. Irréel comme le souvenir que Carney conservait de ces jours d 'émeute où la violence avait rendu les rues méconnaissables. Contrairement à ce que l'Amérique avait vu à la télé une fraction seulement de la communauté s'était armé de briques, de battes et de bidons d'essence. Les dégâts avaient été minimes comparés à la destruction qu'il avait à présent sous les yeux, mais si on avait pu mettre en bouteille la rage, l'espoir et la fureur de tous les habitants de Harlem et qu'on en avait fait un cocktail Molotov, le résultat n'aurait pas été si éloigné. »

Une réussite pétulante que ce Harlem shuffle à l'énergie irrésistiblement entrainante, empruntant tour à tour les atours du polar hard boiled et de la chronique sociale, creusant la question raciale avec subtilité derrière son apparente légèreté et ses situations cocasses. Colson Whitehead est définitivement un auteur majeur de la littérature contemporaine nord-américaine. Et chouette, ce roman est le premier tome d'une trilogie sur Harlem, prochaine étape : les années 70 !
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Deux fois couronné du Prix Pulitzer, Colson Whitehead change de genre avec cette fois une histoire de gangsters au coeur de Manhattan. Au rythme dansant d'une vieille chanson de R'n'B adaptée par les Rolling Stones dont il fait le titre de son roman, il nous emmène dans le Harlem des années soixante, quartier noir marqué par la pauvreté et la criminalité, foyer de la lutte pour l‘égalité des droits civiques, mais aussi de la culture afro-américaine.


Marié et père de famille, Ray Carney est propriétaire d'un magasin de meubles sur la célèbre 125e rue. Ce fils de malfrat, bien décidé à rompre avec l'exemple paternel, rêve de respectabilité et cultive deux ambitions : accéder à un logement plus décent que leur petit appartement coincé au ras du métro aérien, et déjouer le mépris de sa belle-famille de condition bourgeoise et à la peau plus claire. Pour se donner un petit coup de pouce et parce qu'il ne sait rien refuser à son cousin Freddie, éternel abonné aux quatre cents coups, il accepte quand même de jouer les receleurs, pensant se maintenir, à force de discrétion précautionneuse, à la lisière du tissu de trafics et de petits crimes qui sous-tend la vie du quartier.


C'est sans compter les entreprises de plus en plus hasardeuses de l'incorrigible Freddie. Embarqué dans un casse foireux, le voilà qui se retrouve dans le collimateur de la pègre, puis, une aventure en appelant une autre, aux prises avec des adversaires toujours plus puissants et dangereux. Des petites frappes aux requins de la finance et de l'immobilier, en passant par les policiers et les banquiers corrompus réclamant leurs enveloppes, tout le monde trempe plus ou moins dans l'illégalité au gré de ses intérêts, derrière les façades respectables des avenues bourgeoises comme dans les rues les plus mal famées.


Tout l'art de Colson Whitehead consiste à peindre par petites touches, non pas un univers du crime spectaculaire et sensationnel, mais une réalité tristement et ordinairement entachée d'une délinquance à bas bruit, chacun cherchant à tirer son épingle du jeu dans le quotidien sans éclat d'un quartier en déliquescence. Ainsi, en filigrane du parcours chaotique des personnages, au fil de mille détails authentiques et soigneusement choisis, se révèle peu à peu le véritable sujet du livre : une peinture d'un Harlem alors en cours de ghettoïsation, ses bâtiments de plus en plus délabrés et insalubres, ses commerces progressivement abandonnés, la bourgeoisie noire laissant la place à une population nettement plus déshéritée, frappée par la ségrégation, le chômage et la pauvreté, dans un contexte favorisant la circulation de la drogue, la violence et la criminalité. Ne manquent pas au tableau les mouvements de contestation qui se mettent à secouer le quartier, comme après le meurtre d'un adolescent par un policier en 1964.


Bien plus que pour son action tragi-comique autour d'un personnage champion de la nage entre deux eaux, c'est pour l'exactitude et la vivacité de son évocation d'Harlem, ville dans la ville, que l'on appréciera ce roman truffé de détails socio-historiques colorés et marquants. En attendant la suite prévue pour cet été aux Etats-Unis et pour 2024 en français, l'on pourra poursuivre le voyage à New York en compagnie d'un autre grand amoureux de cette ville, avec lequel l'on pourra être tenté d'établir un parallèle : Colum McCann - Les saisons de la nuit, ou Et que le vaste monde poursuive sa course folle.

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Être surpris et emmené là où je ne l'attend pas par un auteur fait partie de mes petits plaisirs de lecteur. Certes, ça peut parfois rater et j'en connais plus d'un qui a regretté son excursion transgenre littéraire. Mais c'est passé haut la main avec Harlem Shuffle de Colson Whitehead, traduit par Charles Recoursé.

En toile de fond, on retrouve la même thématique qui lui a valu ses deux Pulitzer : les luttes raciales pour les droits civiques et humains des populations noires dans l'Amérique du siècle d'avant. Mais là où l'approche était frontale dans les précédents, Whitehead l'insère dans une trame polardo-noire qui fonctionne à merveille.

Dans le Harlem des années 60, Raymond Carney n'a pas suivi l'atavisme familial en devenant après son père, une figure de la pègre locale. Sa préoccupation majeure est de développer toujours davantage son magasin de meubles et d'élever socialement sa petite famille composée de sa femme Elisabeth et de leur fille May.

Jusqu'à ce que son cousin Freddie lui propose de participer au braquage d'un des grands hôtels de Harlem, un coup sûr et peu risqué, qui permettra à Ray d'accélérer le rythme de son plan de vie. Mais rien ne va se passer comme prévu et, comme toujours, les petites causes produiront de grands effets…

Si cette intrigue polardesque s'étirant en trois grandes parties de 1959 à 1964 fonctionne plutôt bien – lente, classique, sans artifice inutile – et met en scène des personnages plus hauts en couleurs les uns que les autres - Pepper, Chinck Montague, Miami Joe… - le personnage principal du roman n'est autre que Harlem lui-même.

Colson nous plonge dans une exploration immersive de ce quartier dont le Parc et Riverside Drive forment une frontière invisible avec Manhattan, séparant symboliquement mais clairement, deux mondes et deux races.

« C'est cela New-York, parfois : on tourne à un carrefour et on débouche dans une tout autre ville, comme par magie ».

Mais Whitehead n'est pas là non plus pour jouer les guides touristiques, et Harlem n'est le personnage central de son intrigue que pour mieux en révéler le rôle central, poumon névralgique des luttes égalitaires de l'époque.

Luttes raciales bien sûr, intensifiées par l'assassinat – déjà – entre la 70e et la 80e, du jeune noir James Powell par un lieutenant de police en civil, sans sommation. Luttes portées par la NAACP, les Freedom Riders, les Black Muslims et plus largement par toute une génération qui s'élève par la prise de conscience et la lutte active, livre de Baldwin sous le bras.

Luttes sociales aussi, à l'image des espoirs de Ray rêvant de voir un jour ses meubles intégrer les salons des blancs huppés de Manhattan, cherchant à devenir membre du Dumas Club, antichambre a priori indispensable de la relation blancs-noirs pour étendre son territoire social et commercial plus au sud.

« Ce n'était pas une Nouvelle Frontière d'abondance infinie qui s'offrait à lui – elle était réservée aux Blancs -, mais tout de même, un nouveau territoire s'étendant au moins sur quelques rues ; or à Harlem, quelques rues, c'était tout un monde. Quelques rues, c'était ce qui différenciait les travailleurs et les escrocs, les chances à saisir et les luttes acharnées ».

Vous l'aurez compris, Harlem Schuffle est un livre particulièrement réussi grâce au talent de son auteur qui ne faillit jamais dans le parfait équilibre trouvé entre roman d'ambiance, trame noire et contenu historique et engagé.

D'autant que le style de Whitehead s'adapte parfaitement à cet équilibre, évoluant selon les thématiques, y compris dans une dimension gouailleuse digne des grands classiques lorsqu'il trempe dans la description de la pègre locale : « On n'avait jamais vu un truand élever des poules. Une arrogance pareille, c'était supplier le Seigneur de vous en coller une ».

Un dernier mot pour évoquer la « dorveille », « cette prairie au coeur de la nuit », concept du temps d'avant l'électricité où l'on dormait en deux temps, avec une phase de réveil et d'activité autour de minuit avant de se rendormir, qui réussira si bien à Carney.

« Un répit à l'écart du monde et de ses exigences », qui forcément me parle…
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Ray sue à grosses gouttes, ses mains sont moites. Pourtant, cela n'a rien à voir avec la chaleur ambiante de cet été 1961. Non, Ray enroule le tapis. Ses mains tremblent, il craint que le sang poisseux ne se mette à transpercer la douce épaisseur de cette nouveauté tout juste sortie du catalogue de la dernière collection, et laisse des traces compromettantes sur le sol. Au moins, l'avantage d'être au début des années 60, c'est que toute l'équipe des Experts ne va débarquer manu militari pour tout passer au peigne fin dans son bureau.
Ensuite, il se baisse, hisse doucement le corps et se met à marcher en direction du pick-up. Là, il dépose le lourd paquet. Une fois derrière le volant, il pousse un premier soupir de soulagement. Il sait déjà où déposer son passager clandestin, comme si son paternel lui soufflait quoi faire. Alors qu'il conduit, une pensée le rattrape ; combien de cadavres ont été déposés par son père sur le plateau du pickup qu'il lui a légué ? Mieux vaut probablement ne pas savoir … D'ailleurs Ray se dit qu'il va devoir arrêter ses magouilles, elles pourraient finir par lui couter très cher.
Le récit chronologique de Colson Whitehead est découpé en 3 parties et nous présentent 3 tranches de la vie de Raymond Carney (dit Ray ou Rayray) : 1959, le voilà embraqué malgré lui dans un casse, le braquage de la salle des coffres de l'hôtel le plus chic de Harlem, le Theresa. Cet hôtel existe vraiment, on trouve ainsi des photos sur le net de la rencontre entre Fidel Castro et Malcom X qui s'y est déroulée. Ray se retrouve embarqué bien malgré lui dans cette histoire, à cause de son cousin Freddie, qui l'a désigné à ses coéquipiers comme planque et revendeur du butin « fourgue », chargé de l'écouler en toute discrétion.
Deuxième chapitre, 1961, intitulé la dorveille. La dorveille, c'est le sommeil fragmenté assez répandu avant l'ère industrielle, les gens se couchaient tôt avant la tombé de de la nuit, se réveillaient pour quelques heures d'activités nocturnes, puis se rendormaient pour 4 heures jusqu'au petit matin. Ce passage du sommeil au réveil en pleine nuit, c'est le passage de la face honnête à la face sombre de Ray.
Pourtant, Carney se considère comme un homme respectable, il est convaincu de lutter ardemment contre les instincts de brigand transmis par son père. Il a pignon sur rue avec la grande enseigne lumineuse clignotante de son magasin de meubles à son nom. Il va réussir, il a fait des études, de la comptabilité (c'est dire le niveau de respectabilité, et non, il n'est pas comme son père). Toute la clientèle noire aisée du quartier vient lui acheter ses produits de première qualité choisis avec soin.
Mais la nuit, Ray opère sa mutation, il se réveille après quelques heures de sommeil, quitte le lit et le domicile conjugal qu'il partage avec Elizabeth, l'épouse aimante et fière de lui, mère de ses deux enfants, ignorante de sa part sombre faite de magouilles, de questions d'honneur et de pouvoir dans le Harlem caché et interlope.
Troisième étape du récit, 1964, les affaires se corsent pour Ray avec la disparition de son cousin. « Je voulais pas te créer de problèmes » ne cesse de lui seriner Freddie depuis les chapardages de bonbons de leur enfance. Maintenant qu'ils ont grandi, cette maxime va-t-elle encore faire effet, amadouer Ray pour l'embarquer dans une nouvelle galère et surtout suffire pour tout effacer d'un coup d'ardoise magique ?
L'atmosphère, l'ambiance, le décor sont extrêmement bien plantés par Colson Whitehead, le lecteur admire ce décor de film et ses personnages travaillés et hauts en couleur.
C'est assez amusant, car j'ai lu plusieurs avis de babéliotes qui avaient été emballés par Nickel Boys et ont été un peu déçus de Harlem Shuffle. En ce qui me concerne, si j'avais très moyennement apprécié Nickel Boys dans lequel je m'étais pas mal ennuyée, j'ai beaucoup plus aimé ce Harlem Shuffle, qui, bien qu'il comporte de nombreuses longueurs, m'a vraiment fait vivre dans ce Harlem des années 60, respiré la chaleur étouffante d'une nuit d'été ou d'une nuit d'émeutes, et croisé les doigts pour que Ray se sorte de ses mauvais pas…
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Colson Whitehead s'est imposé, en seulement trois romans, comme une figure incontournable du paysage littéraire américain. Deux Prix Pulitzer en 2017 pour « Underground Railroad » et en 2020 pour « Nickel Boy. » Seuls William Faulkner et John Updike l'ont fais. C'est dire le talent et l'importance prise par Colson Whitehead, son impact dans les médias et auprès des lecteurs. La presse française est unanime, Télérama en tête, pour parler d'un immense roman. le moins que je puisse dire c'est que je ne vais pas être très original en soulignant le talent d'écriture, l'acuité de la pensée de Colson Whitehead qui en l'espace de quelques années est véritablement devenu le porte-voix de la communauté afro-américaine. C'est un auteur engagé et il ne s'en cache pas. Il souhaite réveiller les consciences et expliquer combien les noirs américains ont été victimes d'injustices, de mépris, de ségrégations, de violences avec la monstrueuse KKK soutenue jusqu'à il n'y a pas si longtemps par les pouvoirs politiques, la police et les blancs racistes du sud des Etats-Unis. En fait, les anciens Etats esclavagistes. Les grands écrivains creusent leurs sillons inlassablement. Colson Whitehead porte ses convictions dans un soucis d'équité inlassablement réclamé par le peuple noir américain. Je dis « inlassablement » car la question est loin d'avoir réellement aboutie. Aujourd'hui encore, abattre un jeune noir n'est pas encore perçu par certains pans de la population blanche, comme étant un véritable crime. le meurtre de George Floyd par un policier blanc a suscité énormément de colère chez les progressistes américain. Malheureusement, il n'y a pas eu unanimité et la question du racisme qui est au coeur de l'oeuvre de Colson Whitehead est plus que jamais d'actualité. Dans « Harlem Shuffle » son nouveau roman, Colson Whitehead nous plonge dans le Harlem du milieu des années 60, en pleine lutte pour les droits civiques, lieu d'émeutes et de violences contre l'impunité des policiers blancs assassinant de jeunes noirs pour presque rien. Ray Carney, est le personnage central de l'histoire. Il aime sa famille, il est attentif mais il est aussi suffisamment malin pour monter discrètement des arrangements afin d'arrondir ses fins de mois. Il possède un magasin de meubles à Harlem où il vivote. Jusque là tout semble roulé pour lui. Il est quelconque, ni trop intelligent, ni trop bête, il est le citoyen lambda que personne ne remarque. Jusqu'au jour où son cousin junkie lui dépose une mallette qu'il n'est pas sensé ouvrir. C'est la que l'embrouille commence car le contenu de la mallette intéresse beaucoup de monde, des gros poissons de la pègre de Harlem et une richissime famille néerlandaise spécialisée dans l'immobilier. Pour le reste vous découvrirez le monde interlope, les derrières des devantures, les arrières salles où jeux d'argent, trafic de stupéfiants et prostitutions nourrissent aussi bien certains habitants de Harlem que des flics blancs venant prélever leur dû, leurs enveloppes contre une « protection » hypothétique. « Harlem Shuffle » est aussi bien un classique du roman noir, avec cette immersion dans les arrangements avec la loi, la corruption de la police, des politiques. C'est aussi un livre engagé rappelant la lutte menée dans les années 60 à Harlem pour réclamer l'égalité de traitement avec les citoyens blancs. L'humour noir est bien présent avec des descriptions de personnages haut en couleur. Sur Télérama, Colson Whitehead précise que « Harlem Shuffle » n'est que le premier tome d'une trilogie en cours d'écriture. La première partie du récit prend le temps d'instaurer une ambiance plutôt légère mais au fur et à mesure, l'aspect sombre et dangereux prend le dessus avec un Ray Carney sous pression suite aux coups fourrés de son imbécile de cousin junkie. C'est l'un des romans à ne surtout pas manquer en cette rentrée littéraire 2023.
Lien : https://thedude524.com/2023/..
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Après Nickel Boys et Underground Railroad, Colson Whitehead poursuit la visite de l'histoire des Noirs aux Etats-Unis, en prenant cette fois-ci la direction de Harlem, à la fin des années 50 et début des années 60, au moment où les premières lois anti-ségrégation commencent à se mettre en place (en tout cas dans le Nord-Est des Etats-Unis).

Lui est vendeur de meubles dans ce quartier essentiellement noir de N-Y. Et c'est plutôt une bonne idée, puisque Harlem est le point de chute de nombreuses familles du Sud, harcelées et chassées par le KKK, qui doivent reconstruire leur vie, et aussi … se meubler.

Elle travaille dans une agence de tourisme un peu spéciale, puisqu'elle s'adresse uniquement aux Noirs, et outre d'organiser leur voyage dans les régions qui leur sont ouvertes, elle fournit aussi des conseils pour leurs déplacements dans le Sud du pays en leur indiquant les villes, les hôtels, les restaurants où ils sont acceptés, à défaut d'être bienvenus …

Mais le héros de ce roman est surtout la ville de New-York, puisque c'est une chronique des événements raciaux qui y ont eu lieu. Alors on découvre la ville telle qu'elle est, sans fard, avec ses flics véreux, ses mafias, ses miséreux qui n'ont que la « débrouille » et les coups foireux pour s'en sortir. Une ville où il est difficile de sortir de sa condition.

J'ai trouvé ce roman assez long et n'ai malheureusement éprouvé que peu de sympathie pour le personnage principal … Déception, donc.
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Ray Carney tient un commerce d'ameublement, sa vie est paisible avec sa femme et ses deux enfants ; ce n'est pas un voyou, tout juste un peu filou, ça lui arrive de revendre des trucs, une partie de ce qu'il a en magasin a été volée. Mais lorsqu'il veut tirer son cousin Freddie du pétrin dans lequel il s'est fourré, Ray va se retrouver aux prises avec la pègre.
Colson Whitehead nous plonge au coeur d'Harlem en un flot d'actions où braquages et meurtres se succèdent. C'est un roman noir, mais c'est surtout un portrait d'un quartier, une ville dans une ville, haut lieu de la lutte contre la ségrégation. Il nous dresse dans une langue familière et colorée un tableau de l'Amérique des années 60. Les arnaques, les dessous-de-table, malfrats, flics, notables tout le monde collecte des enveloppes. Des personnages truculents, un récit haletant où humiliations, rancoeurs, vengeances, violence alternent sous fond d'émeutes. La langue ici est croustillante, c'est la langue de la rue, plus que par l'histoire en elle-même, j'ai été passionné par la description d'Harlem, de ses commerces, de ses combines, de ses règles, de ses révoltes et par le personnage de Ray, un antihéros savoureux simple marchand de meubles amoureux de sa famille et de son quartier.
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Habitiez-vous New York dans les années 50 et 60? Moi non plus, mais avec ce livre, j'ai l'impression d'y avoir vécu un moment.

Un Noir de la classe moyenne propriétaire d'un magasin de meubles à Harlem. Sa passion pour le mobilier donne lieu à une description des modes de décoration de l'époque, mais on y voit aussi un fabricant de mobilier qui refusait de vendre dans les magasins pour les Noirs…

Sa femme travaille dans une agence de voyages qui se spécialise dans les déplacements sécuritaires des Noirs. Elle recommande des restaurants et des hôtels qui accueillent les « personnes de couleur » et informe sur les endroits à éviter.

Un roman qui n'a pas l'intensité dramatique de Nickel Boys. On y trouve le quotidien, les nuits d'insomnies, les compromissions inévitables lorsqu'il accepte de revendre de la marchandise volée, les problèmes de la rue et des manifestations.

Lorsque je lis des choses sur la société américaine, je suis toujours étonnée par les ramifications de la haine raciale. Et lorsque c'est bien écrit comme par Colson Whitehead, je comprends mieux ce qu'est la vie quotidienne quand on n'a pas la bonne couleur de peau…
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Son cousin Freddie n'a pourtant pas l'intention de lui créer de problèmes, à Ray Carney. S'il l'embarque dans ses trafics c'est peut-être simplement par insouciance, ou parce que les deux hommes se distinguent surtout par ce « trait de caractère précoce » chez Freddie, la bêtise. Ou alors est-ce tout simplement l'habitude, comme quand ils étaient gamins et livrés à eux-mêmes, les parents disparus, en vadrouille ou trop pris par leur travail. Mais il est fini « le temps où les deux garçons avaient des journées entières à remplir de leur combines effrénées », Ray Carney a d'autres chats à fouetter désormais. À commencer par ses beaux-parents qui le regardent de haut avec leur « arbre généalogique irréprochable » et leur couleur de peau suffisamment claire, eux qui ont réussi « le test du sac en papier brun » pour intégrer « la fraternité du Dumas Club ». Et puis on sait maintenant où le trouver dans Harlem, avec son nom qui clignote en grand sur son échoppe de meubles de la 125ème rue, alors Ray Carney a d'autres ambitions aussi. Par exemple une expansion de son magasin, ou une vie paisible avec Elizabeth et la petite May, éventuellement un appartement plus grand quand le deuxième sera là, voilà pour l'essentiel de ses aspirations, même si oui, bien sûr qu'il fricote un peu avec la filouterie, qui ne le fait pas dans Harlem, mais c'est plutôt dans un rôle de courtier, un peu comme « un mur entre le monde du crime et le monde ordinaire ». Alors la petite pègre locale de Harlem non merci, ça pourrait lui causer de grands problèmes.

Si le duo croustillant entre cousins plus ou moins proches tient le haut du pavé dans ce roman, il y aura d'autres personnages hauts en couleur, sans être caricaturaux. Pepper issu d'un milieu où « dire bonjour avec une trempe faisait partie du métier, il avait simplement commencé de bonne heure », d'autres plus éphémères comme Zippo le photographe accroc de pornographie, ou encore Duke qui « fourguait sa came aux initiés : influence, information, pouvoir ». Des personnages forts, typés et marquants, qui se construisent essentiellement dans l'action, et quelques flash-backs sur leur passé. Et surtout qui sont légion dans ce roman construit en trois parties et autant d'embrouilles carabinées, charnières du récit. Des personnages qui ne prendront pas forcément le temps de s'incarner sur la durée, que l'on croisera au fil des intrigues comme on pourrait les croiser dans ce quartier grouillant de Harlem, pour former l'image de sa diversité, comme une mosaïque urbaine.

Évoquer les personnages ne peut donc occulter le quartier dans lequel ils évoluent, qui les a sans doute façonnés à sa manière dans cette Amérique des années 60 non seulement raciste, ségrégationniste, mais aussi en prise à la lutte des classes. Harlem, le véritable sujet du roman. le quartier de New-York est omniprésent, chamarré, vindicatif, révolté, « trop grand et tumultueux pour qu'ils [les flics] aient le temps de harceler les gens autant qu'ils l'auraient souhaité ». Comme dans « Underground Railroad » ou « Nickel Boys », Colson Whitehead convoque l'histoire américaine, en particulier les émeutes de 64 suite au meurtre d'un jeune noir par un policier blanc, pour ancrer son roman dans la réalité d'une Amérique profondément raciste. Avec toujours l'élégance d'évoquer la discrimnation surtout dans les faits, sans pathos. Mais la principale nouveauté dans « Harlem Shuffle » concerne le genre, le roman noir, percutant et piqué d'humour, avec ici un trio d'embrouilles aux scenarii habilement montés et dénoués. Un pur régal de lecture de cette rentrée littéraire d'hiver.

(Merci beaucoup à Terres d'Amérique pour cet exemplaire en avant-première)
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Ray Carney a deux visages, le premier est celui d'un honnête marchand de meubles, le deuxième celui d'un revendeur de marchandises tombées du camion, mais il est très prudent. Tout irait pour le mieux si son cousin Freddie, pour qui il a l'affection d'un frère, ne l'entraînait pas dans d'autres affaires douteuses.

Dans la première partie, Freddie demande à Ray d'écouler des bijoux d'un casse auquel il a participé. Et comme ils ont touché aux biens d'un gangster local, les choses dérapent.

Dans la deuxième partie, Ray pose sa candidature au club Dumas, qui rassemble l'élite noire. Un membre du club lui réclame cinq cents dollars pour faire avancer sa candidature, qui est… rejetée. C'était une arnaque. La vengeance de Ray est savoureuse, mais l'auteur nous cache le plan minutieusement concocté par Ray pendant la dorveille (vieux mot français désignant le sommeil en deux phases). En attendant de comprendre, j'ai lu des pages ennuyeuses où Ray s'agite sans que je saisisse ce qui se passe.

Dans la troisième partie, alors que les choses vont de mieux en mieux pour Ray, il est enfin membre du Club Dumas, Freddie réapparaît, et cette fois-ci, ses bêtises sont encore pires. Et de nouveau, Ray s'agite et il ne reste qu'à attendre de comprendre.

J'avoue qu'en fait de « fresque irrésistible du Harlem des années 1960 », j'ai surtout vu des histoires de cambrioleurs, de vengeance et de flics pourris.

Lien : https://dequoilire.com/harle..
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