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Critique de horline


Peu de choses ont défini l'Amérique autant que l'esclavage et l'idée de conquête de Nouveau Monde. Il ne faut pas compter sur Colson Whitehead pour démystifier la première de ces fondations.

D'abord parce qu'en s'intéressant aux réseaux de résistance qui permettaient aux fugitifs du Sud esclavagiste d'atteindre les États libres du Nord et du Canada, l'auteur appuie avant tout sur cette violence raciale systémique qui a frappé des générations d'Afro-américains. Au XIXe, «Échapper aux limites de la plantation, c'est échapper aux principes fondamentaux de son existence» pour la plupart des Noirs alors réduits à des biens acquis par des propriétaires de champs de coton. Et se soustraire du joug de la servitude n'est pas pour autant la fin des violences, la liberté demeurant bien fragile face à «l'impératif américain».

Ensuite, et de manière quelque peu perturbante, l'auteur américain organise les faits de son roman en un système narratif fantaisiste. Colson Whitehead n'hésite pas à troubler son travail documentaire avec un récit surréaliste, un train fantôme auréolé de fantastique pour matérialiser le réseau d'entraide clandestin et qui apparaît aussi mystérieusement qu'il côtoie une réflexion transversale et accomplie sur la continuité de l'oppression subie par les Noirs américains. Cette alternance des genres est par moments un peu nébuleuse, le passage d'un style à un autre ne se faisant pas toujours sans tamponnage. Certainement l'effet d'une impulsion politique forte (tel que le souligne Godefroid dans sa critique pertinente), mais je regrette que l'auteur américain, tout dévoué à sa démonstration, ait quelque peu délaissé le talent romanesque découvert avec Sag Harbor. L'écriture est bien trop hâtive à mon goût.

Malgré ces imperfections, j'ai aimé suivre la jeune Cora se laisser emporter vers des mondes prometteurs ou menaçants avec un courage archaïque. Même si dans sa fuite constante, j'avais l'impression qu'elle me fuyait tout autant que les mercenaires qui la traquaient comme une proie. C'est un roman sans cesse en mouvement qui s'attarde peu sur les personnages préférant mettre en lumière les différents visages du racisme et de l'esclavage durant le long périple. Que ce soit au coeur des plantations ou, chose que j'ignorais, au sein même des États libres, la violence qui imprègne le roman laisse le sentiment qu'il n'y avait «pas de lieux où s'enfuir, seulement des lieux à fuir».
Riche d'enseignement, ce roman est tout aussi bancal que réjouissant.
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