Plume

Lorsque la lumière du matin filtra au travers des rideaux, j’arrêtai d’essayer de lutter contre l’insomnie pour me délecter de la douce langueur de l’aube, me retournant sur le côté et observant le profil de Jarod, ses cils denses au-dessus de ses pommettes aiguisées, les mèches de ses cheveux tombant pêle-mêle sur son front, les commissures de ses lèvres charnues légèrement entrouvertes dans une sérénité parfaite.
J’aurais aimé me réveiller avec cette vue tous les jours de ma vie d’immortelle, mais c’était un rêve irréalisable.
Quelle injustice !

Nos bouches dansèrent silencieusement l’une sur l’autre, nos langues s’explorant mutuellement, s’unissant, se caressant. Des mélodies célestes se mêlèrent à nos battements de cœur, ravissant mes oreilles par leurs airs euphoriques.

— Je dirais que ta chevelure est la partie la plus sexy, mais ce serait une grande injustice envers le reste de ton corps.
La chaleur sur mes joues descendit jusqu’à mes cuisses.
— Personne ne m’a jamais dit que j’étais sexy.
— Seulement parce que les autres ont de meilleures manières que les miennes.
Il rejeta mes cheveux en arrière, basculant ma tête jusqu’à un angle presque douloureux, puis ajouta :
— Et que ce soit clair entre nous, personne à part moi n’a le droit de te le dire désormais.

— Pourquoi quoi, Plume ?
— Pourquoi vous inquiétez-vous de ce qui m’arrive ?
— Parce que ma ville n’est pas sûre. Parce que tu es une femme et que tu marches seule la nuit. Parce que tu es partie de chez moi fâchée, et pour une raison quelconque, ta colère me donne un sentiment de culpabilité. Normalement, je ne me sens jamais coupable de rien.

Je n'avais jamais perdu une plume. Ce qui ne voulait pas dire que j'étais parfaite. Les anges parfaits n'étaient pas accros aux sucreries, pas plus qu'aux romans sentimentaux. Je n'avais tout simplement jamais perdu la moindre plume parce qu'aucune de mes imperfections n'était un réel péché. Qu'Elysium soit bénie pour ça; autrement, l'ossature de mes ailes aurait été aussi nue que les fesses d'un angelot.

- Leigh, tu rentres avec nous ? demanda Tristan.
Jarod leva aussitôt les yeux sur moi.
- Quoi, tu t'attendais à ce qu'elle parte par la voie des airs ?
Je devins blanche comme un linge.

Jarod était considérablement plus pâle et ses yeux avaient cet éclat vitreux qui me poussa à glisser la main le long de son menton, de son cou en sueur, puis dans son dos. Sa chemise avait été déchirée. Lorsqu'en ôtant ma main, je découvris mes doigts collants et rouges, je me rendis compte que Mo avait tailladé le dos de mon pécheur.
- Il vous a coupé ! m'écriais-je.
- Je sais, Plume. J'étais là.

- Je ne pense pas que vous soyez stupide, Jarod. Sournois, calculateur, dominateur, mais pas stupide.
- Merci.
Je changeais de position, car la pierre commençait à me creuser la hanche.
- Ce n'était pas un compliment.
- Mon oncle était tout cela à la fois, et plus encore.
- J'imagine que c'était votre modèle ?
Jarod passa les mains derrière sa tête.
- Il est parti derien. Viré de l'école à treize ans, il a ensuite travaillé pendant six ans dans un haras en dehors de Paris. Il a commencé par ramasser le crottin de cheval à la pelle avant de grimper les échelons pour finir par les dresser. Un des chevaux qu'il entraînait a battu tous les records de course deux années consécutives, rapportant ses millions à son écurie. Le propriétaire a donné à mon oncle cinq mille euros pour le remercier. Cinq milles euros...
Jarod renifla.
- C'est mieux que rien, retorquai-je.
- Ah... l'éternelle voix de la raison.
- Je ne sous-entendus pas qu'il ne méritait pas plus.
- Non, tu sous-entendais qu'il aurait dû être reconnaissant pour cette prime.

Nos corps semblaient avoir été créés l’un pour l’autre, mes courbes souples s’emboîtant à merveille dans ses arêtes saillantes. Alors que je sondais sa bouche, un nouvel appétit me parcourut le corps. Mon cœur se contracta et mes cuisses tremblèrent. Ses baisers se firent plus entreprenants et je lui offris tout ce que je pouvais, à savoir pas grand-chose, certainement, pour un homme comme lui, habitué à obtenir tout ce qu’il voulait.

Mendier dans une station de métro, c’était une chose, mais s’agenouiller et tendre les mains devant le seigneur de la mafia, c’en était une autre. Sans compter que l’argent de Jarod était probablement maculé de sang.