A cet instant, je me demande quelle expression mon visage reflète car Antoine me dévisage en silence.J'ai mal, une douleur insidieuse et lancinante. Mon cœur s'effrite en mille morceaux et je comprends. Je comprends tout.
[Jade]
— J’ai besoin que tu te souviennes de toi-même, je ne forcerai jamais la main et je ne dirai pas ce qu’il y avait entre nous parce que je ne veux pas influencer tes choix. Ce qui compte c’est que tu sois heureuse. Tu comprends ?
« — Peut-être que tu ne sais pas qui tu es, mais moi, quand je t’ai vue dans ce train, j’étais persuadé que tu étais quelqu’un de bien. Et je le pense encore.
— Mais je n’étais pas une bonne personne avant ça !
Je lui montre mes cicatrices sur les bras et redouble de pleurs. Il attrape mon menton et le relève vers lui. Je crois un instant qu’il va m’embrasser et l’idée ne me déplaît pas.
— Respire. Nous ne nous connaissons pas depuis longtemps mais tu peux compter sur moi, d’accord ? Mon travail est très prenant mais je serai là à chaque fois qu’il le faut. Tu comprends ?
— Oui, lui dis-je, un peu rassurée. »
Le soleil est déjà bien haut dans le ciel et j’ai passé ma matinée, comme toutes les autres depuis mon réveil, assise contre ce tronc d’arbre coupé, à regarder les nuages passer sur ce splendide paysage. Des photos, oui, si seulement j’avais eu un appareil pour immortaliser ce que je vois !
Plusieurs jours ont passé depuis mon réveil et je n’arrive toujours pas à comprendre pourquoi je ne me souviens de rien. Si les infirmières n’utilisaient pas mon prénom, je ne saurais même pas comment je m’appelle.
Jade… me dis-je.
À ce qu’il paraît, c’est une famille de randonneurs qui m’a retrouvée suspendue à un arbre, pas loin du circuit du Castelet. Mon parapente était complétement déchiré et le tissu me recouvrait presque entièrement. C’est l’adolescente qui a remarqué mes pieds qui dépassaient. Les parents ont tout de suite appelé les pompiers, mais ils pensaient sincèrement que j’étais déjà morte. Je leur ai téléphoné ce matin pour les remercier et leur dire que j’étais bien vivante… J’aimerais les rencontrer pour le faire de vive voix mais plus tard, quand j’aurai retrouvé la mémoire.
Et si son accident n'en était pas un ?
Oui, j’ai eu une vie avant cet accident et je ferais tout pour la récupérer. Des larmes me brouillent la vue, mes pensées se chevauchent sans ordre d’arrivée. Je suis complètement perdue.
Je lui réponds par mimétisme, ou bien par politesse, mais leurs visages me sont totalement inconnus. Ils auraient très bien pus ne pas être ma famille, d’ailleurs, c’est un peu comme ça que je le ressens.
— Quoi ? Non !
Mon cœur se fracasse contre ma cage thoracique. Ses pulsations rapides réveillent encore plus ma souffrance. Je veux toucher mais il me retient. Il savait que j’allais réagir comme ça.
— Non !
Julien pousse ma tête contre son torse et me caresse les cheveux. Je hurle toute ma haine devant ses yeux si compatissants. Je crie jusqu’à ne plus avoir de voix et il a toujours ce geste affectueux. Ses va et vient contre mon cuir chevelu commencent peu à peu à me détendre. Et je finis certainement par m’endormir dans ses bras.