AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de SZRAMOWO


Le héros de ce roman cherche à revivre les vacances portugaises de son enfance, cette « Parenthèse enchantée dans le déchirement conjugal. » de ses parents, à retrouver la plage et les sentiments confus que le spectacle des corps dénudés a provoqué alors qu'il n'avait que six ans. « Ce territoire grisant de liberté réservé aux adultes » résonnant avec « Les adultes sont à eux seuls des univers sibyllins. » de Silvina Ocampo.
« C'est cela peut-être qu'il était venu chercher dans cette ville : une fille et le vacillement de ses six ans. »
Mais, « L'enfance a la force d'une vision qui ne revient jamais » comme l'étage de la fusée abandonnée dans l'espace, qui propulse la capsule en la libérant suggère l'auteur qui définit son personnage en écrivant qu'il est « (…) lancé à l'assaut des conquêtes féminines pour ne pas conquérir son propre territoire : lui. »
Quarante ans plus tard poursuivant son rêve il mesure le poids le poids de l'héritage familial qu'on transmet malgré soi, et celui des souvenirs. Il se montre incapable de leur donner vie dans ce roman qu'il se voit refuser « Trop banal, déjà vu, déjà dit, rien de neuf, pas d'étoffe, pas de style, pas d'histoire, rien, le néant. » lui écrit l'éditeur.
Cette ville où il s'est perdu autrefois ne le voit plus « La vieille ne le voit pas, les chats ne le voient pas (…) invisible dans cette ville qu'il approche, dans le silence des rues » ; mais, ce qu'il voit dans la ville le ramène à lui, à son histoire…celle que les autres ignorent de leur indifférence.
Dans ce lieu, il souffre lui de l'histoire « Des hommes se sont embarqués des hommes ivres* d'un monde dont il fallait bien trouver la fin » de ceux qui ont décidés d'« Épouser la folie de se savoir parti (…) aux temps où l'on tirait de la nébuleuse d'ignorance une aptitude aux certitudes »
Certitudes qui lui font cruellement défaut…
Il est à la fois cet étranger, ce voyageur, cet explorateur, ce migrant que l'on finit toujours par ignorer…qui se pose à jamais ces question : que devient cette partie du monde que l'on a connu autrefois lorsqu'on la quitte ? Qu'est-elle devenue lorsque l'on y revient ?
Sa quête a-t-elle du sens pour les habitants de ces quartiers de Lisbonne qu'il parcourt, entend-il « leurs prières derrière eux parce qu'ils ne savent pas vers quoi les tourner », lui qui « viens ici sans prières et sans savoir pourquoi c'est de là qu'il faut repartir de zéro »
J'ai apprécié ce roman pour la façon dont le récit est construit faisant la part belle à des listes de choses et de lieux agissant comme des exhausteurs de mémoire :
« () un accessoire de déguisement, une tenue de héros ou un petit fusil, un arc peut-être, ou bien un piège en bois pour les oiseaux Il revoit de mémoires d'autres jouets disséminés au fil des années, il y en a même qu'il a gardé et qui traînent dans son appartement d'aujourd'hui à Paris, un hibou en terre cuite, un porte-clés où pend un écureuil au pelage doux, une boite en faïence en forme de maison qu'il avait fait tomber et qui s'était brisée sur le carrelage »
« (…) un rat qui s'enfuit derrière un tas de sable, une pelleteuse arrêtée, un sac plastique bleu où traîne une bouteille vide, le vent qui froisse la surface du sac par à-coups. »
J'ai apprécié aussi le rythme poétique de l'écriture dont on décèle les rimes cachées à la lecture à voix haute :
« Sous les pas qui s'enlisent dans le sable brûlant. »
« (…) et le son de la voix s'enroule »
« (…) ni la pointe blanche des voiliers sur l'espace trop grand de la mer »
« (…) une succession de week-ends avec vue sur la mer. »
« Un silence de caverne qui ne disait plus rien de ce qu'était le père. »
« La librairie et la plage sont les deux pôles autour desquels tourne ce voyage, tourne sa vie, il vient de le comprendre. »
« (…) le foisonnement vaporeux des silhouettes sur un marché parcouru d'effluves de poulet grillé dans le tremblement de la chaleur, bruyant du zinzibulement des tourterelles en cage. »
« (…) des silhouettes de chiens sans maître qui s'excusent d'accaparer l'espace. »
« Une épicerie où reluit un gigot derrière un visage dont il ne voit que la casquette »
« Une cour vide où un chat sans histoires laisse glisser le temps sur lui, et les rayons inclinés de la fin de journée. »
Le héros finira-t-il par atteindre son but, parviendra-t-il à écrire le roman de sa vie ? Juliette Willerval l'enferme dans ses doutes et le pousse à découvrir ce qu' « il (le) savait en se disant ne pas le savoir », à se demander de quoi est constitué le passé familial…une somme de souvenirs partagés ? Des souvenirs cachés ? Des souvenirs inavouables ? D'autres que lui peuvent-ils les lui voler, les raconter à sa place ?
La sensation de vitesse et d'oppression découlant des événements racontés sont impressionnantes et donnent une puissance extraordinaire au récit. Etonnant pour un premier roman…On ne peut que s'interroger sur l'origine de l'inspiration de l'autrice…Expérience propre ? Expérience rapportée ? Espérons qu'elle y répondra au cours de l'émission du book club sur France Culture où elle est invité le 27 mars.

Un roman dont je recommande la lecture.

* José Maria de Herédia, Les conquérants, « Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal. »
Commenter  J’apprécie          210



Ont apprécié cette critique (20)voir plus




{* *}