Ça n'arrive qu'aux autres

Ce roman - j'ai plutôt envie de dire "récit" - parle d'un sujet d'actualité, les violences faites aux femmes, et les conséquences pour elle : le récit montre bien que les conséquences sont toujours pour les femmes, physiques, psychiques, mais aussi sociales - ce n'est pas le violeur présumé qui est mis au ban de la société. le pari était risqué de présenter une victime comme pas vraiment sympathique. Pour employer un langage de journaliste, ce n'est pas une "bonne" victime. Au contraire, le violeur présumé (encore du langage juridique pour moi) est présenté comme sympathique, sa famille, ses amis, en sont sûrs, il ne peut être un violeur de par l'éducation qu'il a reçu (féminisme), de par sa fidélité envers ses compagnes successives. Il ne correspond pas aux clichés autour du violeur telle que la société le montre donc il ne peut pas l'être. Puis, penser qu'il puisse être un violeur, c'est remettre en cause tout un système de pensée pour ses proches, et cela, ce n'est pas possible pour eux.
Le style adopté est froid, journalistique. L'utilisation du présent de narration rend le récit intemporel, comme si, finalement, la victime ne pouvait jamais sortir de ce qu'elle avait vécu.Il se dégage aussi le constat que la justice n'est jamais en faveur des femmes, que les lois sont des lois, mais qu'elles sont largement perfectibles. Déprimant ? Oui.
L'alternance des points de vue entre les personnages, qui nous permet non pas d'avoir une vision juste de l'histoire, mais de connaître les sentiments ambigus des personnages, comme Hannes, le meilleur ami d'Anna - jusqu'à ce qu'elle accuse Jonas de viol. Croire Anna reviendrait à remettre en cause trop de choses, notamment la bonne conscience de la majorité des personnages présentés. 

Ce roman a un parti pris qui se ressent non seulement par le sujet évoqué mais également par le style utilisé.
L'autrice qui souhaite mettre en lumière l'ensemble des mécanismes à l'oeuvre dans "la culture du viol" part d'une situation très banale et de scènes du quotidien qui permettent d'illustrer à merveille son propos. le viol n'est pas une affaire simple telle que la société se la représente, c'est beaucoup plus complexe.
En nous présentant dans son introduction les personnages, et en prenant le temps de les mettre en scène avant le drame, l'autrice permet au lecteur de s'attacher aux personnages et de prendre part personnellement à cette histoire.
Elle aborde également le sujet sans porter aucun jugement sur la question, en se bornant à relater les faits et laisse le lecteur se faire son propre avis.
Mais là n'est pas la question, le lecteur ne doit pas juger de l'affaire mais constater combien il est difficile pour toutes les parties prenantes de découvrir la vérité.
C'est un livre de société, actuel qui pose avec pertinence et intelligence la question du viol.
Le seul point négatif concerne le style de narration qui m'a quelque peu dérouté dès le départ. En effet, l'autrice écrit comme un rapport de police ou une interview journalistique. C'est un discours indirect et il n'y a pas vraiment de narrateur.
Néanmoins, je comprends son intention. Cela peut fonctionner mais le tout manque de sentiments et de réel engagement politique. J'aurais apprécié que l'autrice s'investisse plus fortement dans ce récit.
Pour finir, le roman date de 2018 et cela se sent. J'ai l'impression que c'est un peu du réchauffé et que nous avons déjà eu l'opportunité de lire ce genre de romans. Même si une piqûre de rappel ne fait pas de mal, c'est un peu du déjà-vu. Cela ne conviendra pas au public déjà bien informé sur la question.

Les 30 premiers pages traînent trop en longueur pour ma part. D'un coup, tout se met en place.
On passe à plusieurs points de vue par différents témoins extérieurs qui connaissent la victime et l'auteur. Ce qui rend le livre assez intéressant de connaître les pensées d'un et des autres.