Superbe réécriture du mythe qui donne figure humaine au monstre. Médée, Jason, quelques argonautes et des Colchidiennes ont trouvé refuge à Corinthe, qui les a accueillis mais pas intégrés. Les femmes de Colchide sont trop libres, trop sûres d'elles pour la société corinthienne, leurs moeurs trop barbares. Jason est bien accepté dans la haute société et souvent sollicité par Créon qui cherche à l'éloigner de sa femme, Médée. Elle est une femme libre à tous points de vue : elle ne se refuse pas à Oistros qui lui a redonné goût à la vie, elle prend distance avec les cultes et croyances qu'elle écoute et respecte sans les partager. Elle est aussi une femme savante, experte en médecine, pleine de bon sens, de bienveillance et de curiosité, autant de qualités qui lui coûteront.
Médée, en effet, gêne. Elle est plus savante que les médecins officiels qu'on n'appelle plus en ville lorsqu'il y a un malade ; elle sait adoucir les crises de Glaucé, fille de Créon et de Mérope, traumatisée dans son enfance et entretenue volontairement dans un état de faiblesse avancé pour ne pas mettre en péril le trône ; elle sait s'en faire aimer comme d'une fille ; elle sait lire dans les coeurs de ses interlocuteurs ; elle sait aussi, après presque dix ans à Corinthe, découvrir le terrible secret de Créon : le meurtre de sa fille ainée Iphinoé, que Mérope voulait placer sur le trône pour sauver la cité. Cette découverte, qu'elle garde pour elle, cause sa perte, car le secret est bien protégé. Les autorités décident de la faire disparaître mais il leur faut des raisons.
C'est l'avidité de Presbon et la haine jalouse d'Agaméda pour Médée qui fournissent le prétexte. L'ancienne élève de la guérisseuse et le cupide colchidien prétendent que Médée aurait tué son frère avant de fuir la Colchide (lorsque Médée et sa suivante affirment que c'est le roi lui-même qui l'aurait tué, pour les mêmes raisons que Créon a tué son aînée) ; les savants font courir la rumeur que la peste s'est abattue sur la ville non à cause de leur négligence mais par la faute de la sorcière étrangère. Brusquement, ses anciens patients la dénoncent, Glaucé, qui ne comprend pas qu'elle est manipulée, se retourne contre celle qui, croit-elle, l'a abandonnée. Médée devient l'Autre, celle dont on se méfie et qu'on rejette. Exilée, Médée fuit dans les montagnes, confiant ses enfants aux prêtresses d'Héra. Bien des années plus tard, elle apprendra qu'à peine avait-elle quitté la ville, ses enfants étaient massacrés par les habitants qui inventeront plus tard leur version des faits.
Dans ce roman, pas de surnaturel ni de sorcière mais une femme, étrangère, intelligente et hors norme pour la société patriarcale et ethnocentrée de Corinthe, qu'il faut abattre en inventant un mythe autour de sa personne pour la discréditer. C'est aussi l'histoire d'une ville qui se croit meilleure que les autres, refuse l'altérité et le changement, et engendre sa propre perte par son aveuglement.
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