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Alain Lance (Traducteur)Renate Lance-Otterbein (Traducteur)
EAN : 9782234053595
289 pages
Stock (01/03/2001)
4.14/5   95 notes
Résumé :
Les rumeurs vont bon train à Corinthe : Médée a-t-elle tué son frère en Colchide, son pays natal, après avoir dérobé à son père la Toison d'or ? A-t-elle aussi tué les deux fils qu'elle a eus de Jason ? Ou bien, le peuple n'en veut-il pas simplement à cette femme, cette barbare, de l'avoir sauvé de la famine ?
Six voix nous donnent en plusieurs récits les clés de ce roman qui, au travers d'une réécriture de l'histoire antique, fustige l'establishment allemand... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
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Médée, selon le mythe, c'est la femme cruelle et sanguinaire qui n'a pas hésité à tuer son frère et trahir son père pour les beaux yeux de l'étranger Jason. Nièce de la terrible sorcière Circé, Médée est redoutable. Gare à celui qui la trahirait ! Assoiffée de sang, elle devient, à jamais dans nos mémoires, la mère infanticide afin de se venger de l'infidélité de Jason.

Ce mythe n'a-t-il pas été écrit par des hommes, Euripide et Sénèque ?
Christa Wolf nous donne dans son livre une toute nouvelle vision de cette femme.
Et si Médée avait été la victime de l'incompréhension et de la misogynie corinthienne?

Reprenons depuis le début: Médée, belle princesse de Colchide, instruite et indépendante s'enfuit avec l'homme qu'elle aime. Arrivée à Corinthe, elle n'est plus qu'une étrangère, avec son air hautain, celle qui n'est pas comme les Corinthiennes. Elle ne fait rien comme les autres, avec ses croyances, ses allures de grande dame, sa beauté dérangeante et ses cheveux trop longs...

Dans cette réécriture du mythe de Médée particulièrement bien ficelée, les hommes ne sont pas les tragiques victimes des dieux, mais bien les proies de leurs jalousies, de leur irrémédiable ignorance et de leur absence de tolérance. Cette histoire de Médée devient une tragédie moderne dont la catharsis ne suffira sans doute pas à purger celle que nous vivons aujourd'hui :
La haine de l'étranger, de celui qui ne nous ressemble pas...
Médée, réhabilitée, devient sous la plume de l'auteure allemande la victime et non le bourreau…
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Médée. Voix est une réécriture du mythe de Médée, la célèbre infanticide, épouse de Jason à la Toison d'or. Christa Wolf s'est emparée de cette histoire pour la retravailler au jour du féminisme et de sa propre vie.

Un mythe est un récit qui raconte, qui explique et qui révèle. de plus, il se métamorphose en fonction des époques pour répondre au mieux au besoin d'explication des populations. Un mythème est un élément caractéristique d'un mythe qui permet de le reconnaître (ici, l'infanticide).

RÉSUMÉ
Avant de résumer Médée. Voix, un petit rappel de la version la plus connue du mythe : Jason et les Argonautes, son équipage, sont à la recherche de la fameuse Toison d'or. Cette Toison est la propriété de Aiétès, le père de Médée. Jason arrive en Colchide (la Géorgie actuelle) et demande la dite Toison. le roi accepte à condition que Jason aille la chercher tout seul auprès de son gardien, un serpent cracheur de feu. Médée qui est tombée amoureuse du héros grec l'aide en préparant un baume protecteur et lui fait promettre de l'emmener avec lui. Ce qu'il fait, un peu précipitamment, puisqu'il faut fuir alors la colère de Aiétès. Pour ralentir la course de son père, Médée fait monter son frère sur le navire, afin de le tuer et de le découper en petits morceaux pour les jeter à la mer. Leur père est alors contraint de récupérer son fils pour lui offrir une sépulture. Quelques temps après leur arrivée à Corinthe (en Grèce) chez Créon, l'oncle de Jason, ce dernier se fiance avec Glaukè (sa cousine donc) et répudie Médée qui est alors exilée. Avant son départ, elle offre une tunique empoisonnée à Glaukè et assassine ses enfants pour se venger de Jason car ses fils sont son seul point faible.

La version de Wolf reprend les mêmes étapes, mais les causes sont différentes. L'histoire de la Toison est la même, mais le frère de Médée est tué par leur père qui souhaite conserver son trône. Cette dernière est rejetée pour plusieurs raisons : elle est trop bonne guérisseuse pour être digne de confiance, on l'accuse de la famine et du tremblement de terre, de l'empoissonnement de Glaukè (Glaucé chez Wolf) qui s'est fiancée avec Jason. Et surtout, Médée découvre le terrible secret de la fondation de la cité. Mais le changement le plus important est que Médée n'a pas tué ses enfants. Elle est contrainte de les laisser à Corinthe. C'est la population corinthienne qui lapide ces pauvres jumeaux. Les hauts dignitaires font courir le bruit de l'infanticide, et c'est ainsi que Médée devient la sorcière infanticide se vengeant par jalousie.

LE MYTHE DE MÉDÉE
La figure de Médée est curieuse. Au fil des siècles, elle a été complètement inversée, passant d'une déesse de la fécondité féminine très positive à une mère infanticide. D'abord désignée comme la petite-fille d'Hélios (le dieu du Soleil), elle devient la descendante d'Hécate, la patronne des sorcières. de guérisseuse, la voilà empoisonneuse. Pour Alain Moreau, la figure de Médée peut même être envisagée comme la fille du Diable parmi les hommes au fil des récits. Et comme le rappelle Michèle Dancourt, Médée appartient à la grande famille des « figures de la catastrophe » chères au XXe siècle : Héraclès (qui tue femme et enfants), Antigone (sur fond de guerre fratricide, elle meurt en essayant de racheter l'honneur de son frère), Prométhée (qui a donné le feu aux hommes et se fait punir pour cela : attaché en haut du mont Caucase, un aigle vient manger son foie qui se régénère tous les jours. Miam.).

Euripide et Sénèque ne sont pas innocents dans le retournement du mythe de Médée. le premier initie le mythème de l'infanticide volontaire. Eumélos introduit en premier ce mythème mais l'infanticide est « involontaire » : Médée enterre ses enfants sous le temps d'Héra pour leur donner l'immortalité. Sénèque transforme Médée en magicienne ultra-puissante.

WOLF ET MÉDÉE
Auteure allemande, Christa Wolf est née en 1929 et est décédée en 2011. Elle fait partie de la génération qui aura connu les violences extrêmes du XXe siècle. Elle grandit avec l'idéologie nazie que sa famille « accepte » afin de survivre. Après la guerre, elle s'engage dans le parti communiste et reste volontairement à l'Est de l'Allemagne. L'URSS était pour elle une promesse de restauration de la grandeur de l'Allemagne d'avant le IIIe Reich. Mais la désillusion politique vient très vite, renforcée par la culpabilité en tant qu'allemande des crimes nazis. Elle reste cependant du côté Est du Mur de Berlin, malgré les multiples occasions de fuir à l'Ouest. Elle reste pour continuer d'écrire pour le peuple allemand d'Est, pour lui parler avec un double langage, pour lui faire prendre conscience de la situation.

Wolf a révélé en 1993 qu'elle a été collaboratrice in-officielle de la STASI. C'est-à-dire que grâce à son statut d'écrivain, elle a pu voyager à l'Ouest et Europe. La STASI lui demandait de rédiger des rapports sur telle ou telle personne lors de ses déplacements. La polémique qui a suivi cette révélation a été violente. Wolf s'est exilée grâce à l'invitation d'une artiste à venir vivre un an en Californie. C'est à ce moment qu'elle commence à travailler sur le mythe de Médée.

Les critiques littéraires font facilement les rapprochements entre Médée et Wolf : le sentiment d'exclusion, la violence de la foule, le bannissement sont des traits que partagent ces deux femmes. Ce sont des boucs émissaires. Médée est une étrangère en cité grecque. Sa seule protection est son statut de femme mariée… qui disparaît avec les fiançailles de Jason et de Glaukè. Médée devient donc la parfaite coupable des maux de la cité. Wolf a subi le contrecoup du régime soviétique au point de devenir intolérable à son propre pays et d'être exilée.

UN ROMAN CHORAL
Ce roman, puisqu'il est sous-titré « Roman » en allemand, est polyphonique. Onze monologues portés par six personnages racontent les événements qui ont poussé Médée à l'exil. La trame chronologique est morcelée, ce qui, je dois bien l'avouer, m'a rendu la lecture un peu compliquée par moments. Aucune réelle indication de temps n'est donnée, certains événements très importants comme le tremblement de terre ne sont pas racontés, mais évoqués à travers leurs conséquences. Ce qui donne le sentiment d'avoir raté quelque chose dans les pages précédentes, force à revenir en arrière pour rien puisque l'événement n'est pas raconté.
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Superbe réécriture du mythe qui donne figure humaine au monstre. Médée, Jason, quelques argonautes et des Colchidiennes ont trouvé refuge à Corinthe, qui les a accueillis mais pas intégrés. Les femmes de Colchide sont trop libres, trop sûres d'elles pour la société corinthienne, leurs moeurs trop barbares. Jason est bien accepté dans la haute société et souvent sollicité par Créon qui cherche à l'éloigner de sa femme, Médée. Elle est une femme libre à tous points de vue : elle ne se refuse pas à Oistros qui lui a redonné goût à la vie, elle prend distance avec les cultes et croyances qu'elle écoute et respecte sans les partager. Elle est aussi une femme savante, experte en médecine, pleine de bon sens, de bienveillance et de curiosité, autant de qualités qui lui coûteront.
Médée, en effet, gêne. Elle est plus savante que les médecins officiels qu'on n'appelle plus en ville lorsqu'il y a un malade ; elle sait adoucir les crises de Glaucé, fille de Créon et de Mérope, traumatisée dans son enfance et entretenue volontairement dans un état de faiblesse avancé pour ne pas mettre en péril le trône ; elle sait s'en faire aimer comme d'une fille ; elle sait lire dans les coeurs de ses interlocuteurs ; elle sait aussi, après presque dix ans à Corinthe, découvrir le terrible secret de Créon . Cette découverte, qu'elle garde pour elle, cause sa perte, car le secret est bien protégé. Les autorités décident de la faire disparaître mais il leur faut des raisons.
C'est l'avidité de Presbon et la haine jalouse d'Agaméda pour Médée qui fournissent le prétexte.
Dans ce roman, pas de surnaturel ni de sorcière mais une femme, étrangère, intelligente et hors norme pour la société patriarcale et ethnocentrée de Corinthe, qu'il faut abattre en inventant un mythe autour de sa personne pour la discréditer. C'est aussi l'histoire d'une ville qui se croit meilleure que les autres, refuse l'altérité et le changement, et engendre sa propre perte par son aveuglement.
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L'écrivaine allemande Christa Wolf proposait en 1996 une nouvelle adaptation romanesque du mythe de Médée, qui tranche avec les interprétations précédentes du mythe.

Médée est un personnage célèbre des mythologies grecque et latine. On la connait notamment par les pièces de théâtre du grec Euripide et du romain Sénèque, avant d'être réinterprétée à de nombreuses reprises, notamment par Pierre Corneille au XVIIe siècle ou Jean Anouilh au XXe.

J'ai eu l'occasion d'étudier ce mythe et ses multiples réinterprétations théâtrales, romanesques, musicales ou cinématographiques dans un cours de littérature comparée que j'ai suivi dans le cadre d'un cursus universitaire que j'ai entrepris cette année en tant qu'auditeur libre à distance.

Certaines des oeuvres m'ont beaucoup plu, d'autres un peu moins, mais j'ai toujours trouvé plaisant cet exercice d'adaptation et d'interprétation d'un mythe commun, avec les préoccupations d'un auteur dans son époque.

En l'occurence, nous avons ici affaire à un roman signé par l'allemande Christa Wolf, l'une des autrices les plus connues et reconnues de l'ancienne RDA. Ce contexte historique, celui d'une vie adulte passée sous le régime communiste autoritaire de l'Allemagne de l'Est, est essentiel pour comprendre cette interprétation du mythe de Médée.

Le roman raconte les derniers jours de Médée à Corinthe, lorsqu'elle devient la proie du roi Créon et de la foule corinthienne qui l'accuse d'être responsable de tous ses maux : peste, famine, etc. le récit est porté par plusieurs personnages qui prennent la parole dans des chapitres d'une vingtaine de pages.

L'autrice laisse ainsi s'exprimer à tour de rôle Médée bien sûr ; Jason, son mari qui l'abandonne à son malheur ; Agaméda, son ancienne élève qui la jalouse ; Akamas, un astronome et proche conseiller du roi Créon ; Glaucé, la fille du roi, promise à Jason ; Leukos, un astronome ami de Médée et qui a perdu la faveur du roi.

Chacune de ces voix porte un regard différent sur Médée, et raconte finalement l'histoire à sa façon, ou feint de révéler une vérité qui n'en est pas une. Car le roman nous parle surtout de la vérité et de la façon dont l'histoire est écrite par les dominants, par les gouvernants.

Médée apparait ainsi comme une femme victime des hommes et des autorités, jalousée par ses ennemis et ennemies, délaissée par son mari et abandonnée par la lâchée de celui-ci, accusée à tort de crimes qu'elles n'a pas commis pour ne pas entacher la réputation de puissants qui doivent apparaître comme irréprochables. Médée victime devient ainsi Médée magicienne, sorcière, criminelle, régicide, infanticide, c'est en tout cas ainsi qu'elle apparaitra ensuite dans les livres d'histoire, écrits par les vainqueurs, ou en tout cas par ceux qui nous gouvernent.

Je dois avouer avoir eu un peu de mal au tout début du roman, quand j'en lisais le tout premier chapitre, mais j'ai ensuite été totalement emporté par le propos des personnages et de l'autrice. C'est un livre profond, qui porte un sens puissant et propose une interprétation intelligente d'un mythe antique, parfaitement ancrée dans son contexte historique.
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Une belle interprétation du mythe de Médée : même si au final on préfère peut-être la version dite officielle de Médée (plus proche de la violence et de la cruauté des mythes grecs), Christa Wolf nous présente une Médée humaine. Ce roman polyphonique nous amène les différents pensées (classées par chapitre) de plusieurs personnages pour nous faire comprendre que nous avons une vision faussée de Médée.
Si Christa Wolf exploite des failles du mythe -comme le rejet de la faute du meurtre des enfants sur Jason, la tradition des peaux de mouton qui recueillaient l'or en Colchide par exemple-, ce n'est pas que pour servir le mythe. C'est aussi une réflexion sur soi et sur la RDA.

J'ai pu remarquer quelques fautes d'accord, d'expression et de syntaxe. Néanmoins, ce livre est à lire.
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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
Je n'aurais pas dû quitter la Colchide. Aider Jason à s'emparer de la toison. Convaincre les miens de me suivre. Me lancer dans cette longue et terrible traversée, vivre toutes ces années à Corinthe comme une Barbare que l'on craint tout autant que l'on méprise. Les enfants, oui. Mais qu'est-ce qui les attend. Sur ce disque que nous appelons la Terre, il n'y a plus rien d'autre, mon cher frère, que des vainqueurs et des victimes. Et maintenant j'aimerais savoir ce que je vais trouver en franchissant ses bords.
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Jason :
Le serpent. Je rêve encore de lui. Le monstre de Colchide dont la longueur monstrueuse s’enroule autour du chêne, dans mon rêve je le vois tel que mes hommes le décrivent : à trois têtes, aussi gros que le tronc de l’arbre, crachant du feu bien entendu. Je ne pourrais pas le jurer, il se peut que dans la fièvre du combat je n’aie pas tout remarqué et les Corinthiens aiment qu’on leur raconte que dans l’Est sauvage les animaux aussi sont effrayants et indomptables et ils frissonnent de peur quand on leur dit que les Colchidiens ont des serpents près de leur âtre en guise de dieux domestiques et qu’ils les nourrissent de lait et de miel. S’ils savaient, ces braves Corinthiens, que même ici ces étrangers n’ont pas renoncé à leur coutume et continuent en cachette à garder des serpents chez eux et à les nourrir. Mais il est vrai qu’ils ne pénètrent jamais dans les misérables logis des étrangers au bord de la ville ou dans la demeure de Médée, comme je le fais quand de nouveau l’envie me prend d’y retourner et qu’une petite tête de serpent me fixe de ses yeux d’or sombre, sortant des cendres de l’âtre de Lyssa, jusqu’à ce que cette dernière la fasse disparaître d’un léger claquement de mains. Ils savent apprivoiser les serpents, c’est la vérité, je l’ai vu de mes propres yeux. J’ai vu Médée s’accroupir contre le tronc de ce chêne imposant, j’ai vu le serpent se pencher vers elle en sifflant, mais quand Médée a commencé à fredonner à voix basse, puis à chanter une mélodie qui a apaisé le monstre, elle a pu lui verser sur les yeux quelques gouttes de sève d’une branche de genévrier fraîchement coupée qu’elle portait dans un petit flacon, ce qui endormit le dragon ou devrais-je dire la dragonne. Le nombre de fois qu’il m’a fallu raconter comment j’ai grimpé à l’arbre, pu saisir la toison et redescendre sans encombre et chaque fois l’histoire s’est un peu modifiée, en fonction des attentes de ceux qui m’écoutaient pour qu’ils aient vraiment peur et qu’ils puissent à la fin être vraiment soulagés. Au point que je ne sais plus exactement moi-même ce qui m’est arrivé dans ce bosquet, près de ce chêne avec le serpent, mais de toute façon plus personne ne veut en entendre parler. Le soir ils sont assis près des feux de camp, reprenant des chansons sur Jason le tueur de dragons, je passe parfois à côté d’eux, cela leur est égal, je crois qu’ils ne savent même pas que c’est moi qu’ils célèbrent par leurs chants ».
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Cette histoire m'a beaucoup appris. Elle m'a appris qu'il n'est de mensonge, aussi grossier soit-il, que les gens ne croient pourvu qu'il réponde à leur secret désir d'y croire.
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« Je suis partie avec Jason parce que je ne pouvais plus rester dans cette Colchide perdue, corrompue. C’était une fuite. Et voilà que j’ai vu sur le visage du roi Créon de Corinthe la même expression de présomption et de crainte qu’on repérait vers la fin sur les traits de notre père Aiétès. Il ne pouvait pas soutenir mon regard pendant les rites funèbres célébrés pour toi, son fils sacrifié. Le roi d’ici ne connaît nul remords quand il fonde son pouvoir sur un sacrilège, il soutient sans sourciller le regard de quiconque. Depuis qu’Akamas m’a emmenée, traversant le fleuve dans la ville des morts où les Corinthiens riches et célèbres sont enterrés dans de pompeuses chambres funéraires. Depuis que j’ai vu ce qu’ils leur donnent pour qu’ils puissent accomplir leur chemin jusqu’au royaume des morts, et aussi pour qu’ils s’en paient l’accès, de l’argent, des bijoux, de la nourriture, des chevaux même, parfois des serviteurs, depuis lors je ne puis voir cette superbe Corinthe que comme le miroir périssable de cette cité éternelle des morts et il me semble que ce sont eux qui règnent également ici, les morts. Ou bien c’est la peur de la mort qui règne. Et je me demande si je n’aurais pas dû rester en Colchide.
Mais voilà que la Colchide me rattrape. Tes ossements, frère, je les ai jetés à la mer. Dans notre mer Noire que nous aimions et que tu aurais désiré avoir comme tombeau, j’en suis sûre. Face aux navires de la Colchide lancés à notre poursuite et sous le regard de notre père Aiétès, moi, debout sur l’Argo, j’ai jeté un à un tes ossements à la mer. C’est alors qu’Aiétès fit faire demi-tour à la flotte colchidienne, pour la dernière fois je vis ce visage familier, pétrifié de terreur. Mes Argonautes eux aussi ont été saisis par cette image : celle d’une femme qui, en poussant des cris sauvages, jette à la mer, contre le vent, les os d’un mort qu’elle avait emportés. Tu ne devrais pas t’étonner, me dit Jason, si cette image leur revient maintenant à l’esprit et s’ils ne savent plus ce qu’ils doivent penser, au point de ne pas vouloir témoigner en ta faveur. Vous me croyez donc capable, lui ai-je demandé, d’avoir tué mon propre frère, de l’avoir déchiré pour le mettre en morceaux pour l’emporter dans un sac de peau pendant ce voyage ? Il s’est tortillé, mon bon Jason. J’attends encore sa réponse. »
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Alors cette femme, venant à notre rencontre dans la cour du roi Aiétès toute recouverte de vigne, était l'image opposée de ces horribles fruits macabres, peut-être est-ce pour cela qu'elle nous fit une aussi forte impression. Elle était là, dans sa jupe rouge et blanche à volants comme elles en portent toutes, et le buste moulé dans ce corsage noir, inclinée, recueillant dans ses mains l'eau de la fontaine et la buvant. Cette façon qu'elle eut de se redresser en apercevant, de secouer les mains et de venir calmement à notre rencontre d'une démarche rapide et vigoureuse, svelte mais la silhouette bien dessinée, mettant en valeur tout ses avantages, de sorte que Télamon, qui ne peut jamais se maîtriser, émit un sifflement et me chuchota : Voilà quelque chose pour toi.
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Videos de Christa Wolf (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Christa Wolf
Christa Wolf (1929-2011), dans le puits du temps : Une vie, une œuvre (2013 / France Culture). Production : Matthieu Garrigou-Lagrange. Par Christine Lecerf. Réalisation : Charlotte Roux. Diffusion sur France Culture le 9 novembre 2013. Photographie : Christa Wolf im Jahr 1971. (dpa / picture alliance). Née en 1929, en Prusse orientale, aujourd’hui territoire polonais, Christa Wolf est précipitée dès l’origine dans le paysage tourmenté de l’histoire allemande. Comme beaucoup d’enfants, elle s’enthousiasme pour le Führer. Comme beaucoup d’adolescents, elle participe avec fierté à la naissance de la nouvelle Allemagne de l’Est. Et comme bon nombre d’intellectuels antifascistes qui croient à l’idéal socialiste, elle s’engage au parti communiste dès 1949. Mais Christa Wolf n’est pas tout à fait comme tout le monde. Elle écrit : sur la déchirure de l’Allemagne dans “Le ciel partagé” (1963), sur ses propres dénis dans “Trame d’enfance” (1976). Elle creuse l’oubli, rumine un passé qui ne passe pas. À partir de 1976, à la suite de son soutien au chanteur Wolf Biermann, Christa Wolf n’est plus une femme libre. La Stasi l’espionne. On refuse qu’elle quitte le parti. Plus on cherche à la museler et plus l’écrivaine s’échappe par l’écriture dans les strates du temps. Elle trouve refuge auprès des premiers romantiques allemands qui, comme elle, n’avaient “Aucun lieu. Nulle part” (1979). Dans “Cassandre” (1983) ou “Médée” (1996), elle s’inspire de ces « femmes sauvages » de la mythologie grecque qui avancent comme elle, tête haute, la parole vibrante. On se presse à ses lectures. On rêve l’esprit éveillé. Peu après la chute du mur, l’icône de la littérature est-allemande est injustement accusée d’avoir travaillé pour la Stasi. Dans “Ce qui reste”, elle écrit : « N’aie pas peur, dans cette langue, que j’ai dans l’oreille, pas encore sur les lèvres, j’en parlerai aussi un jour. » Brisée mais non vaincue, Christa Wolf entreprend alors dans “Ville des anges” (2011) une lente et ultime descente au « fond du puits ». Le corps perpétuellement en alerte, Christa Wolf luttait depuis des années contre la maladie. Elle est morte à l’âge de 82 ans.
Avec : Jana Simon, journaliste, petite-fille de Christa Wolf Nicole Bary, traductrice et éditrice de la revue “LITERALL” Pierre Bergounioux, écrivain Günter Grass, écrivain (Archives) Marie Goudot, auteur de “Cassandre” Alain et Renate Lance, traducteurs de l’œuvre de Christa Wolf Erika Tunner, germaniste, spécialiste du romantisme Irving Wohlfarth, germaniste
Et la voix de Christa Wolf
Textes lus par Blandine Molinier et Aurélia Petit. Avec la voix de Jean-François Néollier.
Extraits de films : “Le ciel divisé”, de Konrad Wolf, adaptation de Christa et Gerhard Wolf, DEFA, 1964 “Le tambour”, de Volker Schlöndorff, 1979 “Christa Wolf. Ein Tag, ein Jahr, ein Leben”, de Gabriele Denecke et Gabriele Conrad, ARTE, 2004
Source : France Culture
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