Il postulait qu'en période de grande angoisse et de deuil, la chose la plus précieuse qu'on puisse posséder est une lueur d'espoir, quand bien même cet espoir serait sans aucun fondement. Il en parlait en termes de religion, eu égard à ce qu'on qualifie souvent de "foi aveugle".
Je ne suis pas sûr qu'il soit possible d'être exceptionnel sans être un peu anormal aussi. L'un ne va pas sans l'autre.
Oscar ne pouvait s'empêcher de penser qu'il était inconvenant de rire dans un cimetière. Il était toutefois conscient que la désinvolture de Crest n'était qu'un mécanisme de défense. Après tout, les mourants n'avaient ils pas le droit de rire de ce qui les attendait ? A rendre la mort légère, elle était sûrement plus facile à accepter.
J’ai beaucoup écrit sur l’espoir. Ma théorie est que l’espoir est une forme de folie. Une folie bénigne, certes, mais une folie tout d même. En tant que superstition irrationnelle, miroir brisés et compagnie, l’espoir ne se fonde sur aucune espèce de logique, ce n’est qu’un optimisme débridé dont le seul fondement est la foi en des phénomènes qui échappent à notre contrôle.
Ils se comprenaient. (…) Et il apprenait tellement de lui, rien qu’en liant les livres qu’il lui prêtait. Au cours des six derniers mois, il avait lu des romans de Graham Green, de Herman Hesse, toutes les nouvelles de Gianni Celati, Katherine Mansfield, Frank O’Connor, Alexandre Soljenitsyne, et des essais de George Orwell. Dire qu’il avait presque oublié combien il aimait lire, cette cadence particulière des mots quand les yeux passent dessus. Ses parents étaient du genre à avoir une bibliothèque, mais sans aucun livre. Ils ne comprenaient pas le plaisir de la lecture et n’avaient jamais considéré qu’il faille l’encourager. Pour eux, les livres étaient facultatifs, un truc que des professeurs de lettres débraillés imposaient aux enfants à l’école. Oscar avait été élevé dans l’idée que s’il restait dans sa chambre plongé dans des histoires et des mondes imaginaires, c’était qu’il n’appréciait pas la vie qui était la sienne, tout ce pour quoi ses parents avaient travaillé dur, comme la télé, le magnétoscope et le jardin fraîchement gazonné. Quand il le voyait lire, son père lui demandait si ça allait, s’il se sentait bien, et ce qu’était devenu cet ami venu un jour prendre le thé. Dans le lotissement de ses parents, à Watford, la vie était plus simple si on ne lisait pas. Alors il s’était efforcé de ne pas en avoir envie.
Eh bien, poursuivons cette piste, dit Eden en buvant une petite gorgée de vin. Si je te disais qu’il y a des musiques qui rendent heureux, et d’autres qui rendent triste, tu ne serais pas en désaccord avec moi ?
Oscar haussa les épaules.
« Soit.
- Eh bien, Mattheson croyait, et je le crois aussi, que les compositeurs ont le pouvoir d’affecter et de manipuler tes émotions, tes passions, comme disait Descartes. Par leur musique, ils sont tout à fait capables de te faire ressentir tout ce qu’ils veulent que tu ressentes. Un peu comme une expérience chimique : si des éléments sont associés selon une certaine formule tu obtiens une certaine réaction. Tu trouves que je vais trop loin ?
D’après Matheson, le fa dièse mineur est la tonalité qui exprime le mieux la tristesse. Elle est très différente de toutes les autres mineures. C’est la tonalité de la solitude, de l’individualité et de la misanthropie.
Ah! N’est-ce pas merveilleux? Fa dièse mineur, la tonalité misanthropique.
Là où le reste du monde voyait un chaos, Eden voyait logique et ordre. Sa chambre était l’atlas de son esprit.
« Tu n’as pas la moindre idée de ce que ça signifie d’avoir un frère. » (p. 108)
Éden paya le chauffeur avec un billet de vingt en lui disant de garder la monnaie. Il tendit l'argent de façon irréfléchie, distraite, ce qui rendit son geste condescendant, comme s'il n'était pas conscient d'avoir un billet a la main, se désintéressait de sa valeur, un petit garçon achetant des tours de manège avec des jetons de fête foraine.