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Critique de SZRAMOWO


En épousant Richard Dalloway, à l'âge de vingt ans, Clarissa Parry est devenue Mrs Richard Dalloway. le livre se passe à cette époque où, en épousant un homme, une femme prenait, non seulement son nom, mais aussi son prénom.
Clarissa Parry a disparue, et avec elle :
les jours heureux de l'enfance à Bourton ; son vieux père Justin Parry ; Fred ; l'oncle William et Tante Helena ; sa soeur Sylvie tuée par la chute d'un arbre ; le shilling jeté dans la Serpentine ; l'ami-prétendant-confident-potentiel époux, Peter Walsh, «Vous êtes prude, froide, sans coeur disait-il, vous ne comprendrez jamais combien je vous aime», «avec vous je m'amuse mais avec Richard, je suis de coeur» répondra-t-elle ; l'amie, encombrante confidente : «Ses rapports autrefois avec Sally Seton, n'était-ce pas de l'amour, après tout ?»
Elle est devenue Mrs Richard Dalloway :
« La moitié du temps je fais les choses pour que les gens pensent ceci ou cela » ; elle fréquente Hugh Whitbread dont «Peter déclarait qu'il n'avait ni coeur ni cervelle, rien que les manières et l'éducation d'un gentleman anglais» ; elle fait comme «Les ardents jeunes gens et les jeunes filles rieuses, aux transparentes mousselines, qui, ce matin même, après avoir dansé toute la nuit, promenaient leurs ridicules chiens aux poils de laine.»
«De l'autre côté de la rue, les échos résonnèrent, étranges, aux oreilles des jeunes filles qui choisissaient pour leurs noces des du linge frais garni de purs rubans blancs.»

Elle parle en ces termes de son mariage :
« Si adorable qu'elle ait été dans sa jeunesse, il vint un jour - sur la rivière, derrière le bois à Clieveden - où sans doute elle le déçut. Puis à Constantinople, et d'autres fois encore. »

Elle jalouse Miss Kilmann la préceptrice de sa fille Elizabeth :
«Kilmann est arrivée comme nous avions fini de déjeuner. Elizabeth a rougi. Elles se sont enfermées. Je crois qu'elles prient.

Ce matin de juin, un été anglais au soleil blanc, elle approche de ses cinquante-deux ans, et pense à la soirée qu'elle organise, aux invités, aux non-invités, car dans cette société on est attentif à être «invité» et l'on se morfond lorsque l'on quitte ce groupe béni pour devenir un «non-invité» ; elle doit sortir pour rencontrer Miss Pynn chez le fleuriste Mulberry.

«(Elle regarda dans la glace) et vit le délicat visage rose de la femme qui allait ce soir même donner une soirée, Clarissa Dalloway, elle-même»
Elle marche dans ce quartier de Westminster et croise des choses et des gens qui semblent immuables, qui semblent avoir été placés là, sur son passage, pour lui rappeler qui elle est.
Comme au théâtre, chaque personnage, chaque chose, chaque lieu, a un nom, qui le définit et le caractérise. Ces «utilités» accompagnent Clarissa, Peter et le couple Warren Smith, les rôles centraux de la pièce que l'auteur leur fait jouer, qu'ils jouent pour eux, qu'ils jouent pour nous, qu'ils jouent pour persuader ces «utilités» que leur présence n'est pas vaine et donne tout leur sens aux rôles principaux.
«Jouons quoiqu'il en soit, notre rôle; adoucissons les souffrances de nos compagnons de geôle» (encore Huxley)
Leurs longs monologues sont rythmés par ces rencontres de circonstance où l'on croise comme des balises, des phares dans la nuit, des panneaux lumineux, des panneaux fléchés, des itinéraires et des guides à la fois :

Mrs Turner, Mrs Walcker, Miss Pynn, Mr Wilkins, Miss Brush, Mrs Foxcroft, Lady Bexborough, Lady Millicent Bruton, Miss Cummings, Joseph Breitkoff, Hugh et Evelyn Whitbread, les Kindersley, les Cunningham, les Kinloch-Jones, les Morris, Mrs Barnette, Lady Lovejoy, le major Orde, Ellie Henderson, Mrs Marsham, Mrs Burgers, l'horloge de Big Ben, Whitehall, le Strand, Trafalgar Square, Hay Market, Picadilly, Regent Street, Marylebone Road, les magasins Mulberry , Hatchard, Rumpelmayer, Dent, Mrs Filmer, Mrs Peters, l'Agence Sibley et Arrowsmith, Mr Brewer, MM Rigby and Lowndes, Septimus et Lucrezia Warren Smith, le docteur Bradshaw et Lady Bradshaw, Evans, Isabelle Pole, Scrope Purvis, Mr Bowley, Mrs Coates, Mrs Bletchey, Maisie Johnson, Mrs Dempster, Mr Bentley (roule son gazon à Greenwich), le Docteur Holmes, Mr Fletcher, Miss Gorham,

Peter Walsh : Chacun, s'il était sincère, dirait la même chose : on ne tient plus aux autres passé cinquante ans ; on ne dit plus aux femmes qu'elles sont jolies ; la plupart des hommes de cinquante ans feraient cet aveu.
Lucrezia Warren Smith : C'est le chapeau qui est le plus important. Les anglais sont très silencieux.
Septimus Warren Smith : Car maintenant que tout était fini, la paix signé et les morts enterrés, il était saisi, surtout le soir, de ces foudroyants accès de peur. La mort d'Evans ne lui avait pas fait de peine, c'était le pire.
La vieille femme de la station de métro de Regent's Park : ee um fah um so
foo swee too em oo
Docteur Williams : Personne ne vit seulement pour soi.
Docteur Bradshaw : Les gens que l'on aime le plus ne sont pas ce qu'il faut quand on est malade. Il faut qu'il apprenne à se reposer.
Docteur Holmes : Ma chère madame, je suis venu en ami.
Lady Bruton : Hugh est lent, il engraisse.
Sir Richard Dalloway : Un homme resté pur, mais devenu un peu silencieux, un peu tout d'une pièce - il se répéta que c'était un miracle qu'il eut épousé Clarissa ; un miracle ; sa vie avait été un miracle, pensa-t-il, en attendant pour traverser. Les déjeuners en ville font perdre l'après-midi entier.
Miss Kilmann : Dans son Mackintosh, qui écoutait tout ce qu'elles disaient...elle avait plus de quarante ans et, après tout, ne s'habillait pas pour plaire. C'était vrai que sa famille était d'origine allemande. Aussi elle n'enviait plus les femmes comme Clarissa Dalloway ; elle en avait pitié.
Elizabeth Dalloway : C'est parce que Miss Kilmann parle toujours de ses souffrances qu'elle est difficile à supporter. Elle aime les gens qui sont malades. Abbesses, principales, surintendantes, dignitaires, voilà ce qu'on était, sans éclat, dans la lignée des femmes.
Clarissa Dalloway et Peter Walsh : C'est décevant de connaître si peu les gens.
Clarissa Dalloway : Si ravie de vous avoir vu.

La force du roman réside dans l'intensité de cette journée d'été anglais qui précède la soirée de Clarissa, les gens vont et viennent, paraissent ce qu'ils sont les uns pour les autres, bien cachés derrière leurs noms, et chacun tout en affirmant avec force ce que suggère son nom, tente de maîtriser le flot de peurs, d'angoisses, d'incertitudes, d'interrogations, de doutes qui le traverse de façon ininterrompue.
Ce jeu d'ombre et de lumières se déroule dans les mêmes lieux, aux mêmes heures, ils montent et descendent des mêmes bus à impériale, fréquentent les mêmes rues, les mêmes magasins, mais jamais leurs échanges ne vont au-delà de la couche friable du sable léger qui masque leur personnalité profonde.
Enfin la soirée arrive, pas la libération. A l'entrée, l'extra Mr Wilkins égrène les noms des invités, et le jeu reprend de plus belle.
La conclusion appartient à Lady Rosseter et à cette phrase ambiguë : « Que vaut l'intelligence comparée au coeur»

Lien : http://desecrits.blog.lemond..
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