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Critique de isabellelemest


Attention, chef d'oeuvre !
Un avertissement assez inutile car qui n'a pas entendu parler du plus célèbre ouvrage de Virginia Woolf "Vers le phare" (le titre très épuré en anglais -To the lighthouse - a été diversement traduit) ? La découverte du texte, en anglais dans mon cas, provoque toutefois une profonde émotion, humaine autant qu'esthétique.

Dans une maison en bord de mer, quelque part sur une île écossaise, une famille nombreuse, des invités amis du couple, passent une journée de vacances où se révèlent les caractères et les rapports humains, vus par le prisme des impressions, sentiments et réflexions des divers personnages, dans le "flux de conscience" qui les parcourt et par lequel l'auteur sait évoquer un moment devenu unique sous la menace du temps. Mais la figure qui émerge est celle de la mère, Mrs Ramsay, à l'éblouissante beauté malgré le passage des années, celle qui apaise, rassure, s'inquiète des absents, reçoit en digne maîtresse de maison une nombreuse tablée, une femme tutélaire et gracieuse, soucieuse d'apporter le bonheur, hantée par sa lutte avec la vie mais toujours triomphante. Autour d'elles les enfants s'ébattent, un mari à l'autorité intellectuelle marquée réfrène ses accès de colère, les invités manifestent leur amitié et leurs goûts personnels, toute une harmonie de la vie en société, avec ses moments de conflits ou de comédie se déploie, tandis que la "promenade au phare" doit être reportée.
De longues phrases à la syntaxe subtile et complexe se déroulent et nous donnent à voir ces tableaux, à partager ces sentiments et impressions, nous invitant à l'admiration mélancolique de la figure féminine centrale.

Car la seconde partie, "Le temps passe" exprime, dans un choc stylistique inouï, à travers de splendides tableaux poétiques en prose, la dévastation, la désolation qui frappe la maison, abandonnée après la disparition brutale de Mrs Ramsay. Automne, mauvais jours, hivers et tempêtes sont personnifiés et leur indifférence destructrice pourrait avoir raison de la survie de la demeure, image de l'être et de l'identité, meurtrie à jamais par une série de morts précoces.

La troisième partie est celle du retour à la vie, du deuil assumé, de l'art, permettant pour la peintre Lily Briscoe - un double de l'écrivain - de combler un vide central, de prendre la distance qui permet de resituer les figures des parents dans leurs nuances, leurs qualités et leurs défauts, de remédier à l'absence, d'accomplir ce qui était resté inachevé, en l'occurrence la navigation vers l'îlot du phare, un moment où se résout le conflit père-enfants, et où s'achève à la fois le travail de mémoire et l'oeuvre d'art.

Un texte d'une grande beauté lyrique pour traduire en mots le déchirant sentiment de perte, la poignante mélancolie d'une beauté disparue. Déjà présente dans les mots prémonitoires de Mrs Ramsay : "Pourquoi doivent-ils grandir et perdre tout cela ?", dans le regard d'amour des fillettes pour leur mère, dans la brève note "et c'était déjà le passé" qui clôt la scène du diner, la douleur s'exprime avec une puissance poétique intense, transforme la matière du roman en un magnifique poème en prose.
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