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Critique de GeraldineB


Tout quitter et partir à l'aventure sur les sentiers. Qui de nous n'en a pas rêvé? "Ne plus rien prévoir, s'ouvrir à l'inattendu, n'appartenir qu'à la route".

Charles Wright a beaucoup étudié avant de devenir journaliste. le travail, les amours, le métro, les infos, les réseaux sociaux... Cet homme avait une vie parisienne bien remplie. Mais quelque chose de plus grand l'appelait ailleurs. C'est ainsi qu'en 2019, il rejoint une communauté de jésuites pour y faire son noviciat. Veut-il devenir moine? Il ne le sait pas encore. Pour l'heure, il explore les régions du coeur que le monde moderne laisse en jachère, la bienveillance, la gratuité, le partage, le dénuement.

Au cours de ce noviciat, il doit, avec un autre novice, s'acquitter d'un pèlerinage. Cela fait partie de leur chemin spirituel. A pied, sans argent et sans tente, Charles et Benoît devront parcourir près de 700 kilomètres pour rejoindre un monastère dans le Sud. Pendant un mois, ils seront des vagabonds, des mendiants, des pèlerins d'un autre temps.

Le chemin des estives est le récit de ce long voyage sur les routes de France, une aventure humaine avant tout. Car devant quémander chaque jour le gite et le couvert, ils vont de rencontre en rencontre. Mais la méfiance et l'individualisme s'étant installés partout, ils ne trouvent pas toujours l'âme charitable qui les sauverait de la faim. Qu'il est humiliant de réclamer son pain! Qu'il est inconfortable de dormir à même le sol! Mais quelle joie quand les portes et les coeurs s'ouvrent, vous offrant la confiance en même temps qu'un bon dîner. "La pauvreté est une voie vers la joie parce qu'elle ouvre un espace illimité d'accueil. Quand on n'a rien, on est obligé d'ouvrir les mains, et on se dispose à tout recevoir."

Au cours de son périple, Charles Wright dresse un état des lieux du christianisme. Tous ces villages jadis construits autour des églises semblent avoir perdu leur phare et les messes du dimanche ne font plus recette. "Il faut être aveugle pour ne pas voir qu'en France le christianisme connaît une éclipse, un passage par le vide, une traversée des tombeaux." nous dit-il. "Du Christianisme, il ne reste que des lambeaux: le culte des morts, les enterrements, la Toussaint, les Rameaux..."
Cette désertion pourrait le faire douter mais pas de regrets ni d'amertume pour notre apprenti jésuite. Franciscain qui s'ignore ou infiltré, celui-ci voit Dieu en toute créature vivante et au fond se fiche bien des églises. Un âne, une vache le mettent en joie. Pour lui, l'amour est dans le pré et non dans le kitsch des statues en plâtre.

Mais il est tout de même légitime de s'interroger. Dans ce monde d'images et de vitesse, cela a-t-il encore un sens de vouloir devenir moine? A écouter nos politiques, la valeur d'un homme ne se mesure qu'à l'aune de son utilité sociale. Et quoi de plus inutile qu'un moine?
Pourtant Charles Wright croit en un avenir pour ces hommes qui vivent hors de la course. "L'époque a besoin d'hommes de silence, de solitude et de prière. On ne peut pas vivre indéfiniment sans orienter son regard du côté des étoiles".
Des étoiles, nos deux novices vont en voir beaucoup, eux qui dorment le plus souvent en plein air. Et peu à peu, ils prendront goût à cette vie qui va de l'avant, sans savoir où elle va. "La vie errante est la liberté à l'état pur."

Loin des radios qui déroulent l'information en continu, loin des réseaux sociaux qui réagissent trop vite et trop fort à la moindre chose, nos deux hommes vont se reconnecter à la nature et à leur intériorité." Quand on se coupe du vacarme ambiant, qu'on se dégage de l'écume, l'âme s'allège et se dilate. On devient attentif à ce qui compte vraiment et se produit souvent sans bruit, dans le secret, loin des caméras: un lever de soleil, l'apparition d'une bête, le souvenir d'un être cher."

Oh bien sûr il y a des moments de découragement, quand la nuit tombe et que l'avarice garde les portes fermées. Quand il faut dormir dans la pluie et le vent. Quand les coutures de vos chaussures vous lâchent sur un chemin de pierrailles. Ou quand l'autre vous agace, cet autre avec lequel vous cheminez mais que vous n'avez pas choisi. C'est presque rien mais ça vous titille jour après jour, ses petites manies. C'est aussi cela le chemin des estives, un chemin d'acceptation et de fraternité. Apprendre à s'oublier pour mieux découvrir l'Autre.

De belles rencontres, ils en feront. Des gens de peu qui partageront leur repas ou leur prêteront une chambre. Sans surprise, ce ne sont pas les plus riches ni les plus dévots qui seront les plus généreux. Les jardins des maisons bourgeoises ont de hauts murs pour se protéger des mendiants. "C'est une peine de l'avouer: jusqu'ici, ce n'est pas chez les chrétiens patentés que nous avons reçu le meilleur accueil..." Mais ils vivront des soirées mémorables en compagnie de vieux retraités ou de marginaux retirés du monde. le hasard (ou faut-il l'appeler Dieu?) finissant toujours par mettre un bon samaritain sur leur route.

Ainsi Charles Wright chemine, se nourrissant des pensées de Charles de Foucauld et de la poésie de Rimbaud, deux hommes qu'il admire, deux hommes qui vivaient en dehors des normes et qui poussaient toujours plus loin la découverte et le chemin.
"L'homme n'existe-t-il pas que dans le mouvement qui l'ouvre à l'infini? N'y a-t-il pas dans son coeur un appel à ne jamais se contenter du rivage?"

Mais comment Charles Wright, nourri de la pensée de ces hommes épris d'absolu et de liberté pourrait-il finir ses jours cloîtré dans un monastère? Les paysages sauvages du Massif Central ont exercé une fascination sur son esprit. La vie de pèlerin lui a donné le goût d'une vie humble mais sans contrainte. "La sobriété n'est pas la vie à basse intensité." nous dit-il.
Aussi, sans surprise, l'auteur quittera le noviciat à la fin de cette aventure pour s'installer dans une vieille ferme en Ardèche. Il y écrira son récit et d'autres ouvrages encore. C'est décidé, l'homme ne sera pas moine mais écrivain, ce qui est une autre façon de se cloitrer.

J'ai refermé le chemin des estives" à regret, tant je m'étais attachée à ces deux-là, tant j'enviais leur confiance et leur foi inébranlable. Et si c'était le "hasard" qui avait mis ce livre sur mon propre chemin? Croyant, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie ou pas du tout, ce Chemin des estives est à mettre entre toutes les mains, chacun pouvant y puiser sa manne. Charles Wright ne fait ni angélisme ni prosélytisme. Il nous ouvre simplement son coeur et nous invite à partager ses réflexions. Et comme l'homme est cultivé, intelligent et plein d'humour, je vous assure qu'on ne s'ennuie pas une seconde au cours de ce voyage.
D'ailleurs, conquise par cet idéal du peu et de l'instant présent, je lui laisse le mot de la fin:
"Ne partageant pas le credo actuel selon lequel une vie réussie est une vie remplie, je prends plaisir à gaspiller les heures, à me délecter du vide, à écouter le silence. En guise de télévision, la fenêtre de ma chambre découpe un bout de montagne et de ciel bleu."
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