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Critique de HundredDreams


Besoin d'un roman apaisant, j'ai pensé à la critique de Fabinou7 que je remercie, et c'est avec Gao Xingjian que je suis partie, très loin, pour un long voyage, à la fois spirituel et intime. S'isoler, abandonner le monde des hommes pour se trouver ou se retrouver.

« Je préfère errer de-ci de-là, sans laisser de trace. Dans ce monde immense, il y a tellement de gens, tellement de destinations, je n'ai aucun lieu où m'enraciner, installer un petit nid pour vivre tranquillement, rencontrer toujours les mêmes voisins, leur dire les mêmes choses, bonjour, bonsoir, et replonger dans les minuscules imbroglios de la vie quotidienne. Avant même de commencer, je suis déjà dégoûté. Je le sais, je ne peux plus donner le bonheur. »

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« La Montagne de l'âme » est un roman foisonnant, d'une grande richesse relatant l'histoire d'un homme qui, confronté à un environnement culturel répressif et la menace d'un emprisonnement dans un camp de rééducation par le travail, décide d'entamer un long voyage dans les montagnes et les forêts du sud de la Chine, dans les contreforts du Tibet à la recherche de la montagne de l'âme.

« Lingshan, la Montagne de l'Âme, où l'on peut voir des merveilles qui aident à oublier ses souffrances et à obtenir la délivrance. »

Mais cette montagne se dérobe sans cesse à lui.

« Toi, tu continues à gravir les montagnes. Et chaque fois que tu t'approches du sommet, exténué, tu penses que c'est la dernière fois. Arrivé au but, quand ton excitation s'est un peu calmée, tu restes insatisfait. Plus ta fatigue s'efface, plus ton insatisfaction grandit, tu contemples la chaîne de montagnes qui ondule à perte de vue et le désir d'escalader te reprend. Celles que tu as déjà gravies ne présentent plus aucun intérêt, mais tu restes persuadé que derrière elles se cachent d'autres curiosités dont tu ignores encore l'existence. Mais quand tu parviens au sommet, tu ne découvres aucune de ces merveilles, tu ne rencontres que le vent solitaire. »

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Lors de son voyage solitaire dans ces régions isolées, loin de la modernité et de la superficialité des villes, il va puiser du réconfort dans la beauté de la nature qui sera un guide vers une spiritualité personnelle profonde. Instants de grâce et de beauté dans cette recherche de paysages authentiques, de forêts vierges, non défigurés et dénaturés par l'homme.


Au détour d'un chemin, un étang, un arbre, une fenêtre, un pont et son imagination ou ses souvenirs l'emmènent loin dans son passé, dans son esprit. Moments nostalgiques qui raniment son mal du pays, et ravivent la présence d'êtres chers disparus.

« le murmure du ruisseau qui passait sous le pont de pierre, à la porte du temple, et le murmure du vent du soir semblèrent alors, l'espace d'un instant, s'écouler de mon propre coeur. »

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C'est aussi un voyage intérieur où l'auteur nous parle de sa solitude, des persécutions politiques et de la révolution culturelle, de sa famille, de ses souvenirs et de ses rêves d'enfance, de ses rencontres et d'une femme (ou d'une multitude de femmes), objet de ses désirs et de ses fantasmes.
Gao Xingjian tisse ainsi de multiples histoires. Collection de rencontres et de récits, chants populaires, légendes montagnardes, histoires de fantômes, traditions perdues et souvenirs personnels s'entremêlent sans aucune trame linéaire.
Ces histoires racontées sont tantôt touchantes, tantôt mystérieuses, tantôt fascinantes, tantôt inquiétantes, tantôt révoltantes.

Le personnage principal cherche quelque chose qu'il ignore, qui le dépasse, et par ses réflexions et son cheminement intérieur, il essaie de s'éveiller à une forme de spiritualité et d'atteindre un degré de compréhension de soi.

« Je me sens pris au piège. À cet instant, je ressemble à un poisson pris dans les filets de la peur, percé par un gigantesque harpon : il se débat sans pouvoir changer son destin, sauf par miracle. Mais, dans ma vie, n'ai-je pas toujours attendu un miracle ? »

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Mon passage préféré est le chapitre 66, l'homme est tel Orphée descendant aux enfers.

« Tu as l'impression d'avancer sur l'eau, car tu foules déjà des herbes aquatiques. Tu t'enfonces au milieu de la rivière de l'Oubli ; tels les soucis de la vie quotidienne, les herbes t'enlacent. Ton désespoir t'abandonne alors totalement et tu avances à tâtons sur le bord de l'eau. Tu foules les galets que tu enserres de tes doigts de pied. C'est comme si tu marchais en rêve au milieu du fleuve noir des enfers ; une lumière bleu sombre brille là où jaillissent les gouttes d'eau. Tu es surpris, mais ta surprise cache une joie diffuse. »

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La lecture de ce roman m'a demandé des efforts. L'écriture de l'auteur est particulièrement complexe avec l'utilisation de pronoms « je », « tu », « il », « elle », « lui ». J'avais une idée de leur signification, mais je n'en ai eu la confirmation ou je n'ai vraiment compris leur sens qu'au chapitre 52. Ces multiples personnages sont des refuges pour ses pensées solitaires.

« Tu sais que je ne fais rien de plus que me parler à moi-même pour distraire ma solitude. Tu sais que ma solitude est sans remède, personne ne peut me soulager, je ne peux avoir recours qu'à moi comme partenaire de mes discussions.
Pendant que j'écoutais attentivement mon propre « tu », je t'ai fait créer « elle », parce que tu es comme moi, tu ne peux supporter la solitude, tu dois aussi trouver quelqu'un à qui parler…
« Elle » n'est qu'une image apparue de manière imprécise par association d'idées, flottant confusément dans la mémoire, à quoi bon restituer une image qui change sans cesse ? »

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L'auteur a reçu le prix Nobel de littérature en 2000 pour l'ensemble de son oeuvre.
« La montagne de l'âme » est un beau roman, une oeuvre riche, poétique, complexe et surprenante qui invite à la réflexion sur de nombreux thèmes comme l'écologie, le respect de la vie, le sens de la vie, la nostalgie de l'enfance, l'amitié, l'amour, l'attachement, la fuite, la souffrance du corps.
J'ai été envoûté par les descriptions de ces paysages de montagnes. Un voyage intérieur, une quête de soi, exigeante, mais au bout la sérénité. Je suis contente d'avoir suivi les pas de Gao Xingjian, même si je suis consciente de mes nombreux faux-pas.
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