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Critique de NMTB


NMTB
19 décembre 2014
Il faut du temps pour entrer dans ce livre. On part dans le brouillard et on n'en sort vraiment jamais, mais peut-être ne faut-il pas chercher plus qu'à s'habituer à ce brouillard et profiter simplement du subtil mélange de tradition et de modernisme que distille Gao Xingjian dans ces pages.
Pendant les deux premiers tiers du livre, jusqu'au chapitre 52 environ, deux récits alternent. L'un est raconté à la première personne du singulier, un « je », un écrivain officiel en disgrâce, parti recueillir les dernières traces des traditions ancestrales dans les montagnes et les forêts vierges du sud de la Chine. L'autre est une histoire d'amour entre un « tu » qui adore raconter de vieilles histoires édifiantes, des contes, et une jeune fille, qui elle aussi, à sa façon, aime en raconter. Une superbe histoire d'amour, du début à son dénouement.
Le narrateur (est-ce vraiment le « je » qui rêve le « tu » ou le « tu » qui rêve le « je » ?) est enlisé entre le passé et l'avenir. le message est bien sûr politique, porté contre la révolution culturelle, mais il est aussi plus vaste et c'est tout le progrès et le passé qui sont remis en question, la destruction d'une histoire millénaire et de la nature. Pourquoi ?
Ce n'est pas non plus un livre réactionnaire, contre-révolutionnaire, ou alors d'un genre nouveau révolutionnaire chez les révolutionnaires. Car la narration est éminemment moderne, les chapitres ont parfois un goût d'inachevé, il manque une fin, une morale, le temps ne semble pas toujours linéaire, les dialogues n'ont parfois aucune ponctuation. Et je fais une totale confiance au traducteur, car le style m'a paru suffisamment beau et original pour le croire, d'une manière ou d'une autre, fidèle. Une écriture multiple, en crise, un style d'abord visuel, plein de sensations, où le lecteur ne retrouve pas les repères d'un roman classique. Et pourtant, j'ai très vite eu l'impression de lire un grand roman comme savait les faire Tolstoï ; plus exactement, j'ai senti le même souffle universel que savait donner Tolstoï à ses romans, malgré le fait qu'ils sont très ancrés dans une époque et un pays.
Mais c'est encore Gao Xingjian qui parle le mieux de son propre livre :

« Et pourtant, il n'a fait que s'enivrer dans l'utilisation du langage pour raconter la femme et l'homme, l'amour, la passion et le sexe, la vie et la mort, l'âme et la joie et la souffrance du coeur humain dans sa chair, et l'homme dans les relations politiques et la fuite de l'homme devant la politique et la réalité qu'on ne peut fuir et l'imagination hors du réel et laquelle des deux est la plus vraie et la négation de la négation du but utile qui n'est pas équivalente à la nécessité et l'illogisme de la logique et la prise de distance par rapport à la réflexion rationnelle dépassant le débat sur le contenu et la forme et la forme qui a un sens et le contenu qui n'a pas de sens et qu'est-ce que le sens et la définition du sens et Dieu que tout le monde voudrait être et l'adoration d'idoles athées et l'envie d'être considéré comme un philosophe et l'amour de soi et la frigidité et la folie qui conduit à la paranoïa et les capacités supranormales et la méditation zen la réflexion qui n'arrive pas au zen mais plutôt sur le principe vital du corps que l'on nourrit de la loi que l'on peut dire et celle que l'on ne peut dire ne doit pas être dite est dite quand même au monde et la mode et la révolte contre la mode vulgaire qui est de battre l'enfant à qui l'on ne peut pas apprendre à coups de baguette et donner l'éducation le premier en se remplissant le ventre d'encre et celui qui est près de l'encre est noir et qu'y a-t-il de mal dans le noir et les hommes bons et les hommes mauvais et les ni bons ni mauvais ou plutôt humains bien pires que les loups et les autres pires que l'enfer qui se trouve dans leurs propres coeurs et ce sacré soi-même recherche de l'angoisse sans arrêt et le nirvana ou plutôt tout est fini et tout ce qui est fini par qui et qu'est-ce que être ou ne pas être est-ce le produit de la sémantique qui prolifère tout ce qui n'a pas encore été dit qui n'est pas la même chose que ne rien dire et blablabla qui est inutile pour la discussion des fonctions comme dans la guerre entre hommes et femmes personne ne gagnera et jouer aux échecs en faisant avancer et reculer une pièce ce n'est qu'un jeu pour contrôler les sentiments des êtres humains qui doivent manger et mourir de faim est une petite chose et être déloyal est une grande chose mais il est impossible de juger la vérité que l'on ne peut pas connaître et seule la canne est plus solide que les expériences pour s'appuyer et ceux qui doivent trébucher trébucheront et à bas le roman révolutionnaire de la littérature superstitieuse et la révolution romanesque et la révolution du roman. » Ouf !
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