Tige de jade projetée
Dans le lac profond du Ying
Crochet à gauche, tâtonnement à droite
Scrutant le coeur de fleur
Sans jamais se fatiguer
puis, le poème continue ainsi :
Pistil parfumé se trouvant bien à l'intérieur
Soif cachée beaucoup plus au fond
Attendant le jade fondant en mille rosées
Un moindre écart produirait l'éternel regret ...
Le lendemain matin, les villageois n'entendirent pas sonner la clochette du temple. Quand le premier passant découvrit le corps du Vieux-Tao, au fond de son lit, la nouvelle désastreuse fut vite répandue : Etoile-de-La-Longévité était mort de façon bizarre, son corps nu n'était plus qu'une vieille peau desséchée, et même ses os semblaient s'être vidés de toute moelle. Seule sa tige de mille habiletés restée en l'air, couleur violette, gardait encore la dernière goutte de sang.
- Viens ! viens vite ! gémit-elle.
L'homme eut un petit rire discret et s'allongea contre elle, puis sur elle.
D'abord, quelque chose de dur et de tendre pénétra dans sa bouche. C'est à ce moment-là qu'elle réussit à bouger les bras, en les refermant sur l'homme qui lui saisit les seins et se mit à les sucer tour à tour.
Tout son sang afflua vers sa poitrine, tout son être se ramassa sous la bouche de l'homme qui suçait. De la pointe de ses pieds à celle de ses doigts, un vide se répandit partout dans son corps.
Elle gémit, hurla, se débattit. Mais l'homme suçait toujours. Par de petits coups fermes de la langue, il tétait ses mamelons tout en aspirant sa chair à pleine bouche. Ses sources vitales s'échappaient de sa poitrine pour s'engouffrer entre les lèvres de l'homme. Une sensation forte de plaisir mêlé de douleur vibrait en elle et tourbillonnait tel un typhon intérieur.
L'homme suçait sans relâche, jusqu'à ce que les flots de son sang se vident, jusqu'à ce que ses dernières gouttes de vie s'épuisent. Puis il la pénétra par le bas, la déchira, en s'engouffrant au plus profond d'elle-même, il fouilla chaque recoin de ses entrailles. D'un mouvement incessant, il s'avançait et se retirait en elle, comme un piston qui comprimait son corps et qui extrayait le reste de sa sève qu'il suçait ensuite à travers ses mamelons.
Lorsqu'il n'y eut plus rien, plus aucune nourriture, l'homme invisible se tourna et dirigea sa bouche vers le bas-ventre pour aspirer. Une fois de plus, ce fut comme des flots qui chahutaient en elle. Alors, son ultime vitalité finit par descendre et fut aussitôt pompée par l'inconnu.
A la fin, il ne restait de Zé-Lain qu'une peau gonflée après un typhon de plaisir et de douleur.
« Elle dut oublier momentanément son ancienne haine, faire en sorte de se détacher de son cœur, de sa pensée, pour devenir un petit noyau dur, comme un grain de sable, une graine de soja qu’on pouvait cacher au plus profond de soi. Puis s’exposant aux rayons du soleil, s’étalant dans les lueurs de la Lune, s’abandonnant aux rochers, aux troncs d’arbres, et se soumettant aux vents de huit cotés, aux eaux de cinq courants, et aux orages de tout temps, il fallut plus de deux années pour que la jeune fille Tong, d’un tempérament si fort et d’un caractère si carré, retrouve le calme total de son corps. (…)
Là elle peina encore jour et nuit pendant plusieurs mois, en procédant par ordre allant du plus grand au plus petit : d’abord l’ouverture de ses mains, de ses pieds, puis de ses deux bouches, de ses narines et son nombril, puis des racines des cheveux et des pores de toute sa peau …
Jusqu’à ce qu’elle ne sentit plus rien qu’une boule d’air qui tourbillonnait dans chaque recoin de son corps et qui entrait et sortait librement à travers lui. »
(p. 171 et 172)
« Zé-Lain, cette fois fut réellement inquiète ; elle n’était pas venue de si loin pour oublier sa haine et la mort de son père, ni pour se résigner à toute ces années de jeunesse volée.
Elle comprenait en même temps ce qu’avait dit le Grand Maître ; on ne pouvait pratiquer l’art du Tao qu’avec un cœur transparent comme le cristal : la moindre humeur coupait l’homme de ses ressources universelles.
D’ailleurs avec le peu d’expérience qu’elle avait de la prière, elle était convaincue que, plus on avait le corps pur et le cœur en paix, mieux on retrouvait l’énergie éternelle.
Donc entre la vengeance et le Tao il lui fallait choisir. »
(p. 167)
« Lendemain la nuit cédait au jour.
Des cimes couvertes de neige retrouvèrent peu à peu leurs formes réelles et vigoureuses.
Toujours couchée dans la cabane, Zé-Lain, qui n’était jusque là qu’une petite montagnarde ignorante, semblait avoir franchi un grand pas dans sa pensée ;
Et tout d’un coup, elle comprit le sens du mot que, depuis longtemps ses anciens lui avaient enseigné : le destin. »
(p. 165)
« Le sixième jour, elle ne rencontra plus personne qui venait en sens inverse .
Et au bout de trois journées de marche forcenée, elle arriva dans un lieu totalement sauvage : d’un côté un abîme sans fond, de l’autre un flanc couvert de broussailles sèches parmi lesquelles se dressaient quelques arbustes tortueux, des rochers à l’aspect féroce, des bambous nains à feuilles noires.
A ce moment de la journée le soleil couchant était particulièrement saignant, au fond d’un ciel trouble. Des coups de vent s’abattaient verticalement du haut sur la terre provoquant des grondements sourds et lugubres.
Épuisée, la jeune fille se crut revenue à un temps antédiluvien.»
(p. 75)