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Critique de Walden-88


1938, bourg de Dalan, dans le canton nord-est de Gaomi. La famille Shangguan assiste à l'arrivée du fils tant attendu : Shangguan Lushi, après avoir mis au monde huit filles, vient finalement de donner naissance au petit Jintong "Enfant d'Or", censé apporter descendance et prospérité à la famille.

Malheureusement, Jintong ne sera guère à la hauteur des attentes familiales : faible tant sur le plan physique que mental, complètement dépendants des femmes de la famille, il développe de surcroît une obsession maladive pour les seins. D'abord ceux de sa mère, qu'il tète exclusivement jusqu'à l'âge de neuf ans avant de se nourrir de lait de chèvre jusqu'à ses vingt ans, puis ceux des femmes en général. Celui qui devait devenir le chef de famille s'avère, comme d'autres Shangguan de sexe masculin avant lui, incapable de subvenir aux besoins de la famille. Car ne vous y trompez pas, dans la famille de Jintong se sont les femmes portent la culotte comme on dit, de sa mégère de grand-mère dotée d'une force de cheval à sa mère au caractère affirmée et à la volonté de fer sans oublier ses huit soeurs (qui ont toutes la particularité d'avoir de beaux seins et de belles fesses).

"Jeune Pandi, répliqua l'aveugle Xu, vous les Shangguan, vous savez vraiment vous débrouiller. A l'époque des diables japonais, vous avez profité du pouvoir du mari de votre soeur aînée, Sha Yueliang ; à l'époque du Guomindang, c'est le mari de votre deuxième soeur qui a dicté sa loi ; aujourd'hui, c'est toi et Lu Liren qui êtes les chefs. La famille Shangguan, c'est la hampe du drapeau qu'on ne peut jamais abattre, le bateau qui ne coule jamais. Et plus tard, si l'Amérique envahit la Chine, vous aurez aussi un gendre étranger..."

Heureusement qu'elles sont là pour faire bouillir la marmite et assurer la survie des Shangguan à travers les épreuves et les bouleversements de l'Histoire chinoise...

Mo Yan fait de nous des spectateurs privilégiés et nous entraîne sur les traces de cette famille. On assiste à l'invasion des Japonais, les "petits diables", en 1939, à la guerre civile entre communistes et "brigades pour le retour au foyer" (propriétaires fonciers et riches paysans). Puis c'est l'avènement de la République Populaire de Chine, s'ensuivent des événements comme la mise en place des fermes d'Etat, la famine, le Grand Bond en avant pour arriver enfin à l'époque du capitalisme à outrance et de la modernisation du pays.

En plus de suivre le destin de la famille Shangguan et des habitants du canton de Gaomi pendant plus d'un demi-siècle, on assiste impuissant à la transformation de Dalan, cette petite bourgade qui nous semble si familière : la demeure de la Vie Heureuse des Sima devient la Société Pharmaceutique Huachang SARL, sur les ruines de l'Eglise du pasteur Maroya se dresse désormais un bâtiment de six étages qui n'est autre que la mairie. Les commerces florissants poussent comme des champignons, en témoignent le magasin La Licorne - le Monde du soutien-gorge ou encore le Centre Ornithologique Orient.

Et que dire de la truculence des nombreuses légendes abordées par MoYan (Han l'oiseau qui survit pendant quinze ans dans la forêt japonaise après sa déportation, l'étrange Marché de la neige ou les croyances qui entourent les soldats allemands lors de leur invasion du canton au début du siècle), sans parler du style qui m'a souvent fait penser au réalisme-magique sud-américain. J'apprécie de plus en plus la littérature chinoise (j'adore Yan Lianke), c'était mon premier Mo Yan et assurément pas le dernier ! Beaux seins, belles fesses est un livre hors-norme à tout point de vue et un chef-d'oeuvre de la littérature mondiale.
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