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Critique de HundredDreams


Après avoir lu la magnifique nouvelle « les jours, les mois, les années », qui fut pour moi un très gros coup de coeur, j'ai voulu découvrir un autre récit de Lianke Yan, et mon choix s'est porté sur son dernier roman, sorti en 2020.
Autant j'ai été touchée par la beauté poétique et la puissance évocatrice du premier récit, ainsi que par la profonde humanité de l'aïeul, autant cette fois-ci, j'ai eu quelques difficultés à entrer dans l'histoire et à m'attacher aux personnages.
Malgré tout, j'aime beaucoup le regard que pose Lianke Yan sur la société chinoise, j'aime son engagement au risque d'être parfois censuré dans son pays.

« Si je ne peux plus écrire, être en vie ne signifie plus rien pour moi, c'est comme être mort. C'est comme si j'étais mort ! »

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Cette dystopie met en scène le "rêve chinois", un slogan politique lancé par le président Xi Jinping, comme une copie du rêve américain : l'image d'une société forte, prospère et harmonieuse, soutenue par un esprit de patriotisme, de collectivisme et de socialisme.
Mais la réalité dans la Chine d'aujourd'hui est tout autre. « La mort du Soleil » est une condamnation sans appel du régime dictatorial, de la corruption. C'est une satire mordante où le rêve chinois prend des allures de cauchemar éveillé. L'empire du Soleil Levant est plongé dans une nuit sans fin durant laquelle les hommes donnent libre court à leurs peurs les plus intimes, à leurs pulsions et à leurs instincts les plus primaires.

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Li Niannian, le jeune héros de ce récit, vit dans un village du centre de la Chine avec ses parents qui possèdent une petite boutique d'objets funéraires. Son père s'est spécialisé dans la vannerie tandis que sa mère fabrique des couronnes de fleurs, des figurines et des objets en papier découpé.

L'histoire se déroule sur une seule nuit et commence au moment où les villageois tombent un à un, dans un état de somnambulisme. Cet état de semi-conscience les incite à poursuivre inlassablement leur travail dans les champs comme si le soleil ne s'était pas encore couché, pareils à des automates. Pour les gens les plus aisés, cela revient à continuer à vivre dans l'oisiveté et l'opulence.

« Les yeux mi-clos, ils se croyaient éveillés. Ils dormaient mais leurs esprits étaient éveillés. Quant à l'autre moitié d'entre eux, leurs visages étaient blafards, les regards fixes de fatigue. Au bord du sommeil, ils luttaient pour rester éveillés. »

Et puis, petit à petit, le climat change, certains se comportent de manière étrange, anormale, agressive, comme si l'état de droit n'existait plus. Et en même temps que ce rempart se dissout, le comportement de la population évolue, révélant les désirs, les peurs, les non-dits, les secrets les plus vils.

« C'était donc cela le somnambulisme. Un oiseau sauvage qui pénètre l'esprit d'un homme et le met en désordre. Ses pensées, il les réalise en rêve. Ce qu'il ne doit pas faire, il le fait précisément. »

La tension monte, les rancoeurs accumulées conduisent inévitablement les hommes à transgresser la morale, les lois, les interdits et au fur et à mesure que la nuit avance, les désirs les plus secrets s'achèvent dans un bain de sang et de violence.

« A cause du somnambulisme, les hommes mouraient les uns après les autres. Ils ne se jetaient pas tous dans le fleuve : certains volaient, pillaient, se faisaient poignarder. On avait l'impression que l'avenue grouillait du bruit des pas des bandits. On avait aussi l'impression de ne rien entendre. »

Li Niannian raconte comment, avec son père, ils ont lutté pendant cette nuit interminable pour sauver le village de cette folie meurtrière et trouver une solution pour faire revenir le soleil qui refuse de se lever.

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La violence et la peur semblent s'ancrer dans l'injustice, les inégalités, les persécutions, les préjudices que le peuple chinois a subies. Il est frappant de voir comment la politique chinoise s'est insinuée dans leur quotidien, allant jusqu'à leur imposer la crémation au lieu des sépultures traditionnelles.
En effet, en 1956, à l'arrivée au pouvoir de Mao, le gouvernement chinois a rendu les inhumations illégales afin de garder les terres pour la culture et préserver le bois utilisé pour la fabrication des cercueils.
Certaines révélations sont choquantes quant à l'incinération des corps, ou de l'attitude choquante et outrageuse du père de Li Niannian, je n'en dis pas plus vous laissant découvrir par vous-même ce qui m'a révoltée. Je comprends sa honte, son désir de soulager sa conscience, d'effacer de sa mémoire ces actes odieux en réparant ses torts.

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J'ai vu ce monde apocalyptique comme une allégorie de la réalité et du quotidien vécus par les Chinois, et j'ai aimé l'idée du somnambulisme comme révélateur de l'information étroitement contrôlée par le gouvernement chinois ou révélateur des pensées individuelles non formulées, le rêve personnel et le rêve de la nation ne devant faire qu'un.

« … on pouvait entendre le murmure des rêves. Mais cette nuit-là, le délicat silence avait cédé la place à un grondement sourd, un grondement où se nichait une terrible crainte. »

Je reconnais le grand talent littéraire de Yan Lianke, mais dans le dernier tiers du roman, ce déchaînement de violence m'a semblé long, redondant et trop répétitif.

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Pour conclure, il est intéressant de voir comment, dans « la mort du Soleil », le peuple chinois exprime ses désirs et ses sentiments par le biais d'un état de rêve éveillé.
Un roman de contraste, où la lumière du jour s'oppose à la nuit, où la répression et l'oppression des autorités chinoises s'opposent à l'espoir, où le mal et la folie menacent le bien, à moins que ce soit l'inverse.
Une lecture donc intéressante à découvrir pour ses idées.
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