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EAN : 9782809700961
123 pages
Editions Picquier (19/02/2009)
3.99/5   152 notes
Résumé :
Une terrible sécheresse contraint la population d'un petit village de montagne à fuir vers des contrées plus clémentes. Incapable de marcher des jours durant, un vieil homme demeure, en compagnie d'un chien aveugle, à veiller sur un unique pied de maïs. Dès lors, pour l'aïeul comme pour la bête, chaque jour vécu sera une victoire sur la mort. Ce livre est d'une force et d'une beauté à la mesure du paysage aride, de cette plaine couronnée de montagnes dénudées où fla... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (54) Voir plus Ajouter une critique
3,99

sur 152 notes
Un conte chinois aux allures de fable africaine. Quelle beauté ce chant, ce cri de Lianke Yan ! Quelle émotion à la lecture de ce conte dédié à la ténacité ! La sécheresse est au coeur du récit, une sécheresse impitoyable.

Dans les montagnes chinoises, sévit en effet une sécheresse intense, un soleil de plomb qui brille en grappes infinies au-dessus des têtes, contraignant les habitants du village, à court d'eau et de nourriture, à fuir, longue marche afin de trouver leur subsistance ailleurs. Seul l'aïeul de 72 ans, désire rester, il le sait cette marche sous le soleil ardent lui sera fatale, et de plus, avec son chien devenu aveugle du fait d'un rituel cruel pour faire revenir la pluie, il souhaite veiller sur un unique pied de maïs apparu dans son champ. Pied de maïs bien dérisoire dans ce vaste champ mais symbole de vie, symbole de lutte, symbole même d'une force et d'une virilité retrouvée.

L'Aïeul, l'Aveugle et le Pied de maïs voici donc nos trois protagonistes. Chaque jour est une lutte, chaque jour le vieil homme, aidé de son chien, se battent et défient tous les obstacles, le soleil de plomb, les rats, les loups, pour se nourrir, pour boire et faire croître ce pied de maïs. Une force surhumaine et magique, complice et onirique les anime, comme enveloppée d'un souffle animiste. Des jours qui deviennent des semaines, puis des mois. L'espoir : en veillant sur ce plant jour et nuit, en l'arrosant, en l'aimant, en le lavant, l'espoir que ce plant fournisse des épis lors du retour éventuel des villageois, et leur donnent donc de nouvelles semences. L'attente de la maturité où les rayons du soleil pèsent plus lourd que les réserves de grains.

La chaleur est déclinée sous toutes ces formes, décrite de façon somptueuse et imagée, elle nous étouffe nous-même lecteurs : « Il sentit la chaleur d'une gifle sur le visage. A la commissure des paupières, du côté exposé au soleil, la brûlure semblait dissimuler au creux des rides un chapelet d'innombrables gouttes bouillantes ».

Chaleur tellement insupportable que le vieil homme tente de la dompter et de la cravacher, voyez comme sa rage est belle : « La lanière fine et flexible se courbait puis se redressait tel un serpent dans le ciel, on aurait dit qu'à la pointe de la cravache la foudre éclatait, frappant la couronne solaire dont les morceaux incandescents tombaient doucement pour recouvrir le sol d'une multitude de fleurs luminescentes ».

La puissance évocatrice pour parler des animaux est remarquable. Que ce soit les yeux émeraudes des loups en pleine nuit, ou le regard de son chien avec lequel il est à présent inextricablement lié : « le chien se tenait là, sans comprendre, une expression d'égarement mouillée dans les puits asséchés de ses orbites ».

Ce texte, c'est à la fois une caresse de soie et une gifle de boue, c'est la vie avec toutes ses beautés, et ses innombrables difficultés, ses espoirs et ses angoisses. C'est un message pour nous dire de vivre un jour après l'autre, en n'abandonnant jamais, en étant toujours attentif aux beautés de la nature : « L'horizon rouge du couchant se faisait de plus en plus mince et l'aïeul entendait le froissement des rayons qui se retiraient comme un pan de soie. Ramassant les grains émiettés au creux de la pierre, il songea qu'une journée encore venait de s'achever, et qu'il ignorait comment il pourrait passer la suivante ».

Un combat hypnotique universel d'une profonde humanité, une lutte pour la survie sertie d'une écriture poétique et onirique, les images sont surprenantes et d'une beauté simple à couper le souffle. La sécheresse narrée au moyen d'un texte luxuriant et foisonnant dont on ressort les yeux humides d'émotion et le coeur gros. Très gros.

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"Quand on est vieux, on vit seulement pour un arbre, un brin d'herbe, des petits-enfants. C'est toujours mieux de vivre que d'être mort..."

Vivre oui. La vie nous est offerte pour un jour, pour un mois, pour des années. Qu'importe pour combien de temps, l'important c'est ce qu'on transmet aujourd'hui pour demain et ça l'aïeul l'a compris il y a longtemps déjà.

L'aïeul a 72 ans, il connaît la terre et ses secrets, toute sa vie durant il l'a cultivée. Il vit dans un petit village perdu dans les montagnes en Chine, l'auteur ne donnant que peu de précisions quant au lieu et à l'époque je me suis donc plu à imaginer les décors majestueux des monts Balou si chers à son coeur. L'aïeul a pour seule compagnie un chien qu'il a rebaptisé "l'aveugle" quand il l'a recueilli après qu'il a eu les yeux atrocement mutilés par la stupidité et les croyances infondées des hommes et des femmes de son village qui ont tous fui vers des contrées plus hospitalières après qu'une sècheresse des plus terribles se soit abattue sur le village.

L'aïeul est vieux (du moins il l'est pour la vie qu'il mène) mais il a le coeur d'un jeune homme, un coeur bon et humble aussi il n'a pas hésité à recueillir le chien après que les villageois l'aient attaché entre deux jarres remplies d'eau l'obligeant à faire face à un soleil de plomb pendant des jours et des jours dans l'espoir de faire venir la pluie sur les semences d'automne, la pluie tant espérée... Mais la pluie n'est jamais venue, les prières des villageois sont restées vaines avec pour seuls échos les aboiements du chien qui a hurlé encore et encore face à l'astre ingrat dont les rayons toujours plus accablants ont transpercé les couches de nuages sombres. Alors la terre s'est fissurée, crevassée, desséchée, elle est devenue un ventre stérile, vide de tout engrais, incapable de donner la vie, la vie qui elle a complètement disparu au dix-neuvième jour de la sixième lune. Et c'est ainsi que le vieil homme est resté seul comme le gardien qui ferme la porte, seul avec l'aveugle auprès du pied de maïs planté dans le champ en contrebas du village, y installant sa couche et celle du chien, y passant désormais ses jours et ses nuits, lui prodiguant un soin méticuleux comme s'il en allait de sa vie, lui offrant ses urines ainsi que celles du chien chaque matin, s'émerveillant comme un enfant de le voir grandir, s'épanouir, chaque nouvelle pousse comme un miracle de la vie qui continue malgré tout dans un milieu hostile bientôt envahi par les vents et par une horde de rats aussi affamés que l'aïeul et son chien contre lesquels ils vont devoir mener un ultime combat s'ils veulent récupérer les graines semées dans les champs par les villageois avant leur départ. Un ultime combat pour leur survie comme l'aïeul le fera héroïquement contre les loups pour libérer la source d'eau.

"Les jours, les mois, les années" c'est le temps qui passe, qui s'effrite, qui fait son oeuvre. C'est le temps que prend l'aïeul pour observer, écouter, comprendre la nature. C'est le temps de la regarder croître, de lui parler doucement comme on berce un enfant. C'est l'amour qu'il porte à son chien, c'est le regard bienveillant, c'est la main qui caresse pour apaiser la douleur. C'est donner sans rien attendre d'autre en retour que la vie qui renaît dans un pied de maïs et c'est surtout le courage et la détermination d'un homme qui sait qu'il arrive au bout de son chemin.

Lianke Yan nous offre un récit bouleversant dans lequel il célèbre la vie cruelle mais la vie quand même, dans toute son essence et dans ce qu'elle comporte de plus pur, de plus essentiel : l'eau, la terre, les éléments. Un texte empreint d'une belle poésie qui nous remet à notre place d'humain et qui nous rappelle les vraies valeurs qui font que la vie est possible. Chaque larme que le chien a versé de ses yeux mutilés m'a brisé le coeur ; chaque juron, chaque réflexion souvent pleine de malice de l'aïeul m'a fait sourire et une chose est certaine c'est que dans la lente agonie, la souffrance, la faim, la soif de l'aïeul et de son chien, Lianke Yan y a mis toute la beauté du monde de demain car finalement l'essentiel réside dans ce qui part, dans ce qu'il reste de nous et rien n'est jamais vain. Quelques grains de maïs et c'est la vie qui renaît quelque part sur le flanc d'une montagne en Chine ou ailleurs...



* Mes remerciements à Sandrine qui a permis cette lecture, à Mh pour ses partages réguliers sur l'auteur. Je vous invite à lire les belles critiques de HundredDreams, MH17, HordeduContrevent, Croquignol, gonewiththegreen, Osmanthe, Annette55 et toutes les autres que je n'ai pas encore eu le temps de lire.


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"Le vent meurt –
les herbes
s'habillent de deuil"
(Aioigaki Kajin) 

***

Dans une région reculée de haute montagne 
sévit une sécheresse impitoyable rendant incultes les terres autrefois nourricières. Fuyant la famine, les habitants ont pris tour à tour le chemin de l'exode. 

Seul l'aîné du village, trop affaibli pour suivre des jours durant le cortège, est resté avec son chien surnommé l'aveugle pour veiller sur l'unique et ô combien précieux pied de maïs qui pousse dans son champ. 

"J'ai soixante-douze ans, avant trois jours de marche, je tomberai épuisé. N'importe comment,  je vais mourir,  je préfère mourir ici."

*

Symbolisant le triomphe de la Vie face à l'adversité, la plantule se dresse timidement vers les cieux et déploie une à une ses feuilles. 

Tel un parent aimant, l'aïeul prend soin de ce germe d'espoir pour le futur. Il lui parle, écoute ses besoins, surveille sa croissance, et surtout le protège contre les rayons brûlants et  meurtriers du soleil. 

"L'aïeul pensait que sur cette chaîne de montagnes dénudées, il avait fait pousser du maïs, qu'il en décortiquerait l'épi pour remplir un bol de grains, des grains aussi précieux que des perles, dont les villageois pourraient se servir comme des semences lorsqu'ils reviendraient (...). Alors les saisons se succéderaient, et sur cette chaîne montagneuse on verrait de nouveau (...) des champs et des champs de maïs à perte de vue."

*

Chaque jour est une lutte acharnée contre les éléments, l'amenuisement des ressources vitales et les nombreux dangers  qui rôdent alentour. 

Si les hommes ne sont beaux que des décisions qu'ils prennent, l'aïeul lui, resplendit par son courage, son obstination, et son sens du sacrifice qui forcent l'admiration. 

Au crépuscule de sa vie, fort de la sagesse accumulée avec les ans, il a saisi l'importance de poursuivre un objectif plus élevé que soi : transmettre le fruit de son savoir et de son labeur pour construire l'avenir.

"(...) quand on est vieux, on vit seulement pour un arbre, un brin d'herbe, des petits-enfants."

*

Pour son dernier combat, il peut compter sur la présence, le dévouement et la fidélité sans faille de son animal. Ce sont deux solitudes qui se sont trouvées et communient au-delà des mots. 

Compagnons d'infortune mais aussi de réflexions existentielles, ils partagent une relation complice des plus tendres et touchantes. 

"L'homme caressait d'une main, le chien lui léchait l'autre. Cette nuit-là,  ils se sentirent soudain inextricablement liés par un sentiment dont la douceur les envahit, les inonda tous deux. Il dit, l'aveugle, marions-nous, d'accord? Avec un compagnon,  la vie est plus savoureuse.(...) Il dit, je ne vivrai plus très longtemps, si tu peux m'accompagner jusque-là, alors j'aurai une belle mort."

*

Coup de coeur immense pour ce conte à la fois intemporel et universel que nous offre  l'écrivain chinois Yan Lianke. Nimbée de poésie, sa prose envoûtante et  subtilement évocatrice, caresse l'émotion. C'est  avec le coeur serré et les yeux humides que j'ai tourné la dernière page. 

Aussi bref que puissant, ce récit bouleversant d'humanité constitue une véritable ode à la vie exhalant ce qu'elle a de plus beau, de plus fort, de plus fragile et de plus triste aussi. 

Une petit joyau littéraire riche en sens à ne surtout pas manquer…
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Un vieillard, que ses forces déclinantes ont empêché de partir avec les autres habitants du village, se retrouve seul pour affronter la sécheresse et la famine. Avec son chien aveugle, il tente de survivre, quelques jours, des semaines, puis des mois, luttant contre un soleil de plomb, une invasion de rats et même une horde de loups. Son seul gage d'avenir est de réussir à faire pousser, coûte que coûte, son ultime pied de maïs.


Le vieil homme, le chien et le pied de maïs : tel aurait pu être le titre de cette fable, que, connaissant la dissidence politique de Yan Lianke en Chine, il n'est pas très difficile de deviner lourde de sens.


Au premier degré, le récit est un conte tragique, aux consonances presque fantastiques. Deux pauvres créatures, de plus en plus exsangues, se retrouvent en butte à une série d'épreuves et de calamités d'une ampleur absolument inédite et dévastatrice. Quand tout le monde a fui, tous deux résistent avec l'énergie du désespoir, compensant leur faiblesse par leur détermination et leur ruse, repoussant jour après jour une échéance que tout désigne pourtant inéluctable. A la stérilité soudaine de leur terre, asséchée par l'implacabilité quasi surnaturelle d'un astre chauffé à blanc, s'ajoutent les féroces attaques d'ennemis organisés en bandes : sournoise marée de rats peu ragoûtants, dévastant tout son son passage ; sanguinaire horde de loups resserrant inexorablement son machiavélique et terrifiant encerclement. Luttant pied à pied dans un combat de chaque instant qui les emmène insensiblement vers demain, le vieillard et le chien unissent leurs efforts pour sauver la fragile pousse verte qui doit laisser une chance à l'avenir, si ce n'est le leur, peut-être au moins celui de la génération suivante, si jamais elle revient un jour au village.


C'est ainsi que derrière la silhouette du vieil homme solitairement obstiné à sauver son pied de maïs pour de futures semences, finit par s'imposer l'image de l'écrivain, s'évertuant à préserver de l'étouffement la modeste pousse de liberté qu'est sa parole dans le chaos et la violence de l'oppression, avec l'espoir qu'elle essaime et trouve un jour une relève, pour peu que tous les intellectuels de Chine osent faire de même.


Acte de foi en l'inaliénabilité fondamentale de la liberté, ce texte magnifique d'espoir et de poésie, porté par une langue de toute beauté, est un bouquet d'émotions sur l'autel de l'humanité bafouée par l'oppression. C'est aussi une oeuvre admirable de courage, qui par bien des aspects, m'a fait penser à celles d'Ahmet Altan. L'un comme l'autre, ces deux écrivains continuent à faire entendre leur voix, malgré l'oppression subie dans leur pays respectif. Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Cela faisait bien longtemps que je n'avais plus lu un roman asiatique. Quel plaisir de renouer avec cette écriture à part, teintée d'onirisme, effleurant l'âme et le coeur. Merci à @HordeDuContrevent de m'avoir encouragée à m'aventurer loin de ma zone de confort. Sa chronique a fait mouche !

Une sécheresse impitoyable s'abat sur un petit village en Chine contraignant tous les habitants à fuir à la recherche d'eau et de nourriture. L'aïeul, lui, refuse de partir d'autant plus que dans son champs un pied de maïs survit. Avec l'aveugle, le chien, ils vont ensemble braver le soleil harassant pour tenir un jour de plus, par la seule motivation de ce pied de maïs. L'aïeul va le chérir avec les moindres moyens disponibles, usant d'imagination pour qu'il grandisse jusqu'à l'automne. Mais la faim, la soif et les rats, féroces tenaillent l'espoir et les maigres forces.

La relation de l'aïeul avec son chien est très bien rendue. Même si le vieil homme n'est pas toujours tendre avec l'aveugle, le chien semble, à défaut de voir, comprendre à la perfection les attentes de son maître qu'il gratifie de caresses et de fidélité.
L'épilogue m'a émue, je ne m'attendais pas à une telle fin. Cette osmose entre l'aïeul et son chien, fruit d'une solitude redoutable m'a cueillie le coeur lourd.
La description onirique mais fluide du soleil est aussi de toute beauté. J'ignorais qu'il était possible de peser le soleil…
Il y a aussi ces passages haletants face à ces milliers de rats prêts à tout pour survivre.

Yan Lianke avec Les jours, les mois, les années signe un petit livre sous forme de conte ou de fable. Il met en exergue l'ambiance particulière de cette histoire nous faisant ressentir la soif , la faim et la solitude avec une force imagée et sensorielle surprenante. En lisant ce livre, on bénit l'eau qui coule à flot, nos garde-manger bien rempli et on prie pour que le dérèglement climatique ne nous plonge pas dans un tel monde hostile et apocalyptique.
Lien : https://coccinelledeslivres...
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Citations et extraits (39) Voir plus Ajouter une citation
Il avait toujours tout cultivé avec succès, blé, haricots, sorgho, sa production avait toujours été la meilleure du village. Sur la chaîne montagneuse, aucun paysan ne pouvait rivaliser d’adresse avec lui. Debout devant la culture, ses lèvres étaient devenues aussi arides que la terre environnante, il ne but pourtant pas, ne puisa pas non plus de quoi remplir un demi-bol pour le chien. Il ne savait pas où il pourrait trouver des excréments humains. Les latrines du village étaient toutes sèches et pulvérulentes, ce qu’il restait d’excrément avait déjà brûlé comme du bon bois. Cela faisait plusieurs jours que le chien et lui-même n’éprouvaient plus le besoin d’aller à la selle, leurs corps avaient absorbé tout ce qu’ils avaient pu ingurgiter sans rien vouloir rejeter. L’aïeul songea aux lambeaux de peau du dernier rat dont ils s’étaient nourris, il descendit dans le ravin pour en chercher, mais en vain. Il devina que l’aveugle avait tout mangé durant son déplacement à la source. Il gravit la pente, suffoquant, voulut interroger le chien, mais ne fit que se tenir face à lui un moment, silencieusement, avant d’aller puiser dans la marmite un bol de l’eau dans laquelle avait cuit le rat, de l’eau avec quelques gouttes d’huile. Ensuite, il ne referma pas le couvercle, il se tourna pour dire au chien, bois si tu as faim ou soif. Enfin, prenant le sac à provisions, il prit la direction du village. Il allait chercher de l’engrais.
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L’aïeul allait uriner.
A la suite de l’homme, le chien se soulagea lui aussi.
Depuis quinze jours, c’était la première chose qu’ils faisaient après s’être réveillés, ils allaient uriner sur ce champ en pente, à quelque quatre kilomètres du village. Sur ce versant ensoleillé, il y avait un pied de maïs que l’aïeul avait planté. Uniquement ce pied, pâlissant au fur et à mesure des jours de sécheresse, uniquement ce pied qui dispensait un peu d’humidité alentour, dans l’air en combustion. L’urine, c’était de l’engrais. Il y a de l’eau dans l’urine. L’eau dont le maïs manquait se trouvait là, dans l’urine qu’ils avaient accumulée, lui et son chien, au cours de la nuit. L’aïeul pensait que probablement, durant la nuit, dans un bruissement, la plante avait encore poussé d’un index, qu’une cinquième feuille était apparue. Une timide sensation veloutée gagna son cœur, puis prit de l’ampleur pour envahir toute sa poitrine ; son visage rosissait. Les feuilles de maïs ne poussent qu’une par une, pensait-il, alors que celles des ormes, des sophoras, des cèdres, poussent deux par deux, pourquoi ?
Qu’en dis-tu, l’aveugle ? Il se tourna vers le chien pour lui poser la question. Pourquoi les arbres et les cultures sur pied ne poussent-ils pas de la même façon ?
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L’aïeul interrogea le chien. Il dit, l’aveugle, quand tu étais jeune, combien de chiennes as-tu connues ?
Le chien le regardait sans comprendre.
Il dit, dis la vérité, l’aveugle, il n’y a personne d’autre que toi et moi ici, tout est tranquille.
Le chien continuait à le regarder sans comprendre.
Tu ne veux pas parler, tant pis. L’homme poussa un soupir. Un peu déprimé, il alluma sa pipe. Face à l’obscurité, il dit, comme c’est bon d’être jeune, d’avoir un corps fort et une femme la nuit. Si la femme est intelligente, au retour du champ, elle t’apporte de l’eau, et si ton visage est en sueur, elle te passe un éventail. Les jours de neige, elle te chauffe le lit. Si durant la nuit vous vous êtes retrouvés, et que tu te lèves tôt le matin pour aller au champ, elle te dit de te reposer encore un moment. Vivre de cette façon, il inspira énergiquement une bouffée de sa pipe, puis expira longuement, caressa le chien et poursuivit, vivre de cette façon, c’est vivre comme les immortels.
Il demanda, tu as eu ce genre de vie toi, l’aveugle ?
Le chien demeura silencieux.
Il dit, qu’en dis-tu, l’aveugle, est-ce que ce n’est pas pour ce genre de vie que les hommes viennent au monde ?
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L'aïeul allait uriner. À la suite de l'homme, le chien se soulagea lui aussi.
Depuis quinze jours, c'était la première chose qu'ils faisaient après s'être réveillés, ils allaient uriner sur ce champ en pente, à quelques kilomètres du village. Sur ce versant ensoleillé, il y avait un pied de maïs que l'aïeul avait planté. Uniquement ce pied, pâlissant au fur et à mesure des jours de sécheresse, uniquement ce pied qui dispensait un peu d'humidité alentour, dans l'air en combustion.L'urine, c'est de l'engrais. Il y a de l'eau dans l'urine. L'eau dont le maïs manquait se trouvait là, dans l'urine qu'ils avaient accumulée, lui et son chien, au cours de la nuit. L'aïeul pensait que probablement, durant la nuit, dans un bruissement, la plante avait encore poussé d'un index, qu'une cinquième feuille était apparue. Une timide sensation veloutée gagna son cœur, puis prit de l'ampleur pour envahir toute sa poitrine (...). Les feuilles de maïs ne poussent qu'une par une, pensait-il, alors que celles des ormes, des sophoras, des cèdres, poussent deux par deux, pourquoi ?
Qu'en dis-tu l'aveugle? Il se tourna vers le chien pour lui poser la question. Pourquoi les arbres et les cultures sur pied ne poussent-ils pas de la même façon?
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Il leva très lentement la tête. Du lointain, à l'ouest, lui parvenaient de misérables cris. Il porta son regard le plus loin possible. Il vit, entre deux faîtes, le soleil disparaître, englouti derrière une troisième cime. Restait un flot rouge brillant, s'écoulant du haut vers le bas de la montagne, se déversant jusque auprès de lui. Le monde entier se tut instantanément. C'était l'heure du silence le plus intense, entre le déclin du jour et la tombée de la nuit. À cet instant-là, autrefois, on voyait les coqs monter sur leurs supports et les moineaux rentrer au nid, le monde s'emplissait d'une pluie de gazouillis. Mais aujourd'hui on ne voyait plus rien, ni bétail ni moineau, même les corbeaux avaient fui la sécheresse. Il n'y avait plus que le silence. L'horizon rouge du couchant se faisait de plus en plus mince et l'aïeul entendait le froissement des rayons qui se retiraient comme un pan de soie.
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