"Le vent meurt –
les herbes
s'habillent de deuil"
(Aioigaki Kajin)
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Dans une région reculée de haute montagne
sévit une sécheresse impitoyable rendant incultes les terres autrefois nourricières. Fuyant la famine, les habitants ont pris tour à tour le chemin de l'exode.
Seul l'aîné du village, trop affaibli pour suivre des jours durant le cortège, est resté avec son chien surnommé l'aveugle pour veiller sur l'unique et ô combien précieux pied de maïs qui pousse dans son champ.
"J'ai soixante-douze ans, avant trois jours de marche, je tomberai épuisé. N'importe comment, je vais mourir, je préfère mourir ici."
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Symbolisant le triomphe de la Vie face à l'adversité, la plantule se dresse timidement vers les cieux et déploie une à une ses feuilles.
Tel un parent aimant, l'aïeul prend soin de ce germe d'espoir pour le futur. Il lui parle, écoute ses besoins, surveille sa croissance, et surtout le protège contre les rayons brûlants et meurtriers du soleil.
"L'aïeul pensait que sur cette chaîne de montagnes dénudées, il avait fait pousser du maïs, qu'il en décortiquerait l'épi pour remplir un bol de grains, des grains aussi précieux que des perles, dont les villageois pourraient se servir comme des semences lorsqu'ils reviendraient (...). Alors les saisons se succéderaient, et sur cette chaîne montagneuse on verrait de nouveau (...) des champs et des champs de maïs à perte de vue."
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Chaque jour est une lutte acharnée contre les éléments, l'amenuisement des ressources vitales et les nombreux dangers qui rôdent alentour.
Si les hommes ne sont beaux que des décisions qu'ils prennent, l'aïeul lui, resplendit par son courage, son obstination, et son sens du sacrifice qui forcent l'admiration.
Au crépuscule de sa vie, fort de la sagesse accumulée avec les ans, il a saisi l'importance de poursuivre un objectif plus élevé que soi : transmettre le fruit de son savoir et de son labeur pour construire l'avenir.
"(...) quand on est vieux, on vit seulement pour un arbre, un brin d'herbe, des petits-enfants."
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Pour son dernier combat, il peut compter sur la présence, le dévouement et la fidélité sans faille de son animal. Ce sont deux solitudes qui se sont trouvées et communient au-delà des mots.
Compagnons d'infortune mais aussi de réflexions existentielles, ils partagent une relation complice des plus tendres et touchantes.
"L'homme caressait d'une main, le chien lui léchait l'autre. Cette nuit-là, ils se sentirent soudain inextricablement liés par un sentiment dont la douceur les envahit, les inonda tous deux. Il dit, l'aveugle, marions-nous, d'accord? Avec un compagnon, la vie est plus savoureuse.(...) Il dit, je ne vivrai plus très longtemps, si tu peux m'accompagner jusque-là, alors j'aurai une belle mort."
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Coup de coeur immense pour ce conte à la fois intemporel et universel que nous offre l'écrivain chinois
Yan Lianke. Nimbée de poésie, sa prose envoûtante et subtilement évocatrice, caresse l'émotion. C'est avec le coeur serré et les yeux humides que j'ai tourné la dernière page.
Aussi bref que puissant, ce récit bouleversant d'humanité constitue une véritable ode à la vie exhalant ce qu'elle a de plus beau, de plus fort, de plus fragile et de plus triste aussi.
Une petit joyau littéraire riche en sens à ne surtout pas manquer…